La sérendipité ou découverte inattendue, fruit du hasard ou de la curiosité, a amené plus souvent qu’on ne le croit à de formidables inventions et innovations. Ce phénomène qui rythme l’histoire des sciences et de la recherche montre comment les chercheurs sont capables d’émettre des hypothèses à partir de faits nouveaux et imprévus. Si les exemples qui nous viennent en tête sont ceux d’Archimède découvrant la poussée du même nom dans son bain ou Christophe Colomb accostant par erreur à San Salvador, nous nous intéressons ici plus spécifiquement à quelques-unes de ces découvertes fortuites dans les sciences du vivant.
- Sérendipité, préambule et définitions
« Euréka », voilà la fameuse exclamation qu’aurait prononcée Archimède lorsque dans son bain, il comprit soudainement les forces de poussée d’un corps dans l’eau. Cet éclair d’intuition lui permit de répondre à la question qu’il se posait, à savoir, quels mécanismes permettent la flottaison des navires. Ainsi, l’histoire des sciences nous apprend comment, régulièrement, les découvertes parmi les plus marquantes de ces derniers siècles ne furent pas initiées par un raisonnement cartésien classique mais bien par le hasard. Ce phénomène porte le nom de sérendipité. Celui-ci est d’abord un terme littéraire, proposé par l’écrivain britannique Horace Walpole dans le conte « Voyage et aventures des trois princes de Serendip » au XVIIIème siècle. La sérendipité désigne alors premièrement la sagacité accidentelle qui conduit les héros de l’histoire à faire des découvertes inattendues au cours du récit. Ce n’est que progressivement que le terme fera son apparition dans le domaine des sciences au cours du XXème siècle.
Selon les disciplines scientifiques, le raisonnement logique permettant de vérifier des faits ou d’en expliquer la cause repose sur les processus de déduction, induction ou abduction. Premièrement, la déduction permet d’aller de la cause aux effets. Ce type de raisonnement vérifie une loi ou une théorie déjà existante en la confrontant aux observations. Par exemple, tous les hommes sont mortels, or tous les athéniens sont des hommes, donc tous les athéniens sont mortels. Ainsi, la déduction repose sur une conception relativement statique de la connaissance, puisque le savoir est déjà existant. L’induction, quant à elle, permet de déduire une loi générale à partir de l’observation de faits, en tenant compte de leur probabilité d’apparition. Il s’agit d’une vérification empirique de la validité d’une règle. Ce type de raisonnement est très courant mais limité si utilisé seul. Par exemple, tous les corbeaux que j’observe sont noirs, donc j’en induis la loi générale que les corbeaux sont noirs.
Enfin, la sérendipité, combinant les concepts de sagacité et de hasard, repose sur le raisonnement logique qu’est l’abduction. Cette dernière consiste, en présence de faits nouveaux, à proposer une cause probable et émettre une hypothèse permettant de la vérifier. C’est cette même logique qu’utilisent les médecins, ou la police afin d’aboutir à leurs conclusions. L’abduction ne s’oppose ni à la déduction ni à l’induction mais permet au contraire de les combiner afin de produire de la connaissance grâce à son approche imprévisible[1]. Cependant, la sérendipité introduit en plus la notion d’intuition et de hasard, celle qui provoque le fameux « Euréka ».
On distingue plusieurs formes de sérendipité en fonction du degré de hasard et d’intentionnalité dans la découverte. Afin de simplifier le concept, les chercheurs qui se sont penchés sur l’ensemble des découvertes relevant de l’accident ont ainsi distingué la vraie sérendipité de la pseudo sérendipité. Dans le second cas, le chercheur découvre accidentellement une façon de répondre à une problématique qu’il avait déjà émise. C’est ainsi l’exemple d’Archimède qui, prenant son bain, comprend soudainement les forces de poussée d’un corps dans l’eau. Initialement, celui-ci souhaitait comprendre et démontrer les mécanismes en jeu permettant d’expliquer la flottaison des navires. En revanche, lorsque l’on parle de vraie sérendipité, il n’existe pas de réelles intentions de découvertes au départ. Dans ce cas, l’un des exemples les plus parlants est sans doute celui de la découverte du velcro en 1948 par George de Mestral. Celui-ci, se promenant avec son chien, observe les crochets de bardane emmêlés dans les poils de l’animal. La plante observée au microscope lui a permis de développer le système d’attache par velcro en nylon, sans avoir émis d’hypothèse avant l’observation première.
Les exemples de sérendipité, quel que soit le degré de hasard ou d’intention, sont nombreux dans l’histoire des sciences de ces dernières décennies. Ce sont elles qui rythment les découvertes, créent de la connaissance nouvelle et ouvrent de nouvelles voies de recherche. Nous avons choisi de nous intéresser à quelques exemples marquants tirées de la biologie et des sciences de la vie. Ceux-ci ont permis de formidables avancées et des innovations qui sont devenues à l’heure actuelle des indispensables de notre quotidien.
- Les micro-organismes
Ce n’est pas à un physicien ou un biologiste que nous devons la découverte des micro-organismes mais bien à un drapier néerlandais, du nom de Antoni van Leeuwenhoek au XVII° siècle. Cet homme d’affaires né en 1632 à Delft aux Pays-Bas se lance dans le commerce du textile dès l’âge de 20 ans. Il n’a jamais reçu d’instruction scientifique poussée, ni de formation universitaire, bien qu’il soit un grand amateur de sciences. Son métier de drapier le pousse ainsi à s’intéresser aux lentilles optiques, avec pour objectif d’examiner le plus finement possible la qualité des fils composant les tissus qu’il vend. Van Leeuwenhoek s’inspire notamment des travaux du scientifique anglais Robert Hooke, dans son ouvrage Micrographia. Celui-ci y décrit pour la première fois des cellules végétales et de petits animaux, comme des puces ou des poux observés avec un microscope, constitué de plusieurs lentilles de son invention. Ainsi, van Leeuwenhoek construit ses propres microscopes et développe une technique nouvelle de conception de lentilles de verre de forte puissance. Le drapier conçoit ainsi des centaines de microscopes à lentille unique, capables de grossir au moins 275 fois et sans doute jusqu’à 500 fois. Une lentille biconvexe[2] est insérée entre deux plaques métalliques et permet d’observer, comme avec une loupe, des échantillons disposés sur un stylet réglable. Ces microscopes sont de petite taille. Van Leeuwenhoek ne se cantonne pas à l’observation des fibres textiles mais se met à observer au microscope de nombreux échantillons biologiques tels que des poux, du sang, du sperme, de l’eau, etc. Il décrit alors la présence d’animalcules et de formes de vie minuscules, certaines similaires à ce que Hooke avait déjà observé.
Van Leeuwenhoek a ainsi découvert et décrit pour la première fois des protozoaires[3] dans des échantillons d’eau, des bactéries dans du tartre, des spermatozoïdes dans du liquide séminal, des cellules dans du sang, des cellules végétales à partir d’échantillons de plante, etc. Il décrit les fonctionnements et la conformation des flux sanguins dans la queue d’une anguille ou les ailes de chauve-souris, de l’appareil reproducteur de petits insectes ou encore émet l’hypothèse que l’humain provient de la rencontre d’un spermatozoïde avec un œuf. Le drapier communique ses résultats mais reçoit dans un premier temps un accueil très sceptique. En effet, n’ayant pas reçu de formation universitaire scientifique, ses découvertes peinent à convaincre. De plus, nombre de ses observations viennent contredire la théorie de la génération spontanée[4] développée à l’époque. Cependant, van Leeuwenhoek obtiendra le soutien de scientifiques tels que Robert Hooke qui confirmeront ses travaux. Le drapier sera finalement élu à la Société Royale et son travail de biologiste largement reconnu. Nombre de personnalités et scientifiques viendront voir de leurs propres yeux les petits animalcules décrits par van Leeuwenhoek. Ce dernier meurt à près de 91 ans après avoir accumulé une impressionnante quantité d’observations qui donnent ainsi naissance à la microbiologie.
- La pénicilline
Il n’est pas rare que l’on conseille aux étudiants dans les laboratoires de recherche de garder quelques temps les échantillons biologiques ayant servis aux manipulations. On ne sait jamais ce que l’on pourrait y trouver de nouveau, si on y revient plus tard. C’est ainsi ce qui arriva au Docteur Alexander Fleming en septembre 1928 alors qu’il rentrait de vacances, dans son laboratoire du Saint-Mary’s Hospital à Londres. Le chercheur travaille alors sur les effets antibactériens du lysozyme, une enzyme présente dans les larmes, la salive, le blanc d’œuf et capable de détruire la paroi des bactéries. À cet effet, le docteur Fleming cultive sur des boîtes de Pétri des souches de bactéries du genre staphylocoques. Connu pour être peu ordonné, celui-ci abandonne sur sa paillasse quelques-unes de ces cultures durant ses vacances. À son retour, Fleming constate que les boîtes sont contaminées par une moisissure blanche qu’il identifie plus tard comme une souche du champignon Penicilium notatum. Autour de cette souche, le chercheur observe une zone où les bactéries ne se développent pas. Celui-ci émet alors l’hypothèse qu’une substance produite par le champignon aurait des propriétés antibactériennes, substance qu’il baptise pénicilline. Fleming teste alors cet extrait sur d’autres cultures bactériennes et démontre son action sur les staphylocoques et d’autres pathogènes responsables de la scarlatine, pneumonie, méningite ou encore diphtérie. Ses expérimentations furent publiées en 1929 dans le British Journal of Experimental Pathology[5]. Le docteur Fleming propose son utilisation dans un but thérapeutique et quelques essais cliniques donnent de bons résultats. De plus, la pénicilline n’est pas toxique pour les humains ou les animaux. Le chercheur ne poursuit cependant pas ses travaux, ne parvenant pas à cultiver de grandes quantité du champignon ni à extraire une forme stable de la pénicilline. De plus, les résultats des tests cliniques sont très aléatoires, la substance n’ayant pas d’effet sur toutes les bactéries pathogènes sur laquelle elle est testée.
Les travaux du Docteur Fleming sont repris à la fin des années 1930 par les scientifiques Howard Florey et Ernst Chain. Ceux-ci mettent au point un protocole efficace d’isolation et de purification de la pénicilline. Ils s’adressent ensuite aux grands laboratoires pharmaceutiques aux États-Unis afin de la produire à grande échelle après avoir démontré l’intérêt thérapeutique majeur de cet antibiotique. La pénicilline arrive ainsi au début de la seconde guerre mondiale et est rapidement testée auprès des troupes alliées puis devient un outil efficace de lutte contre de nombreuses maladies infectieuses. Ces travaux ont permis aux docteurs Fleming, Florey et Chain d’obtenir le prix Nobel de médecine en 1945.
- La vaccination antivariolique
La variole est une maladie infectieuse dont la mortalité était particulièrement élevée à la fin du XVIIIème siècle en Europe (30% des malades décédaient et 1 décès sur 10 était dû à la variole en France). Résultant d’une infection par un poxvirus et se transmettant uniquement entre humains, la variole produit une grande quantité de pustules caractéristiques sur la peau. La contagion se fait alors par voie respiratoire (postillons, aérosols, etc.) ou voie cutanée par les pustules. L’environnement du malade est alors particulièrement contagieux et les épidémies successives pendant des siècles iront jusqu’à décimer plusieurs populations amérindiennes lors des épisodes de colonisation. Au XVIIIème siècle, la vaccination n’existe pas encore et les approches thérapeutiques ne servent qu’à apaiser les symptômes. À partir du XVIIIème siècle, on s’intéresse en Europe au procédé de la variolisation importé d’Orient. Il s’agit d’une technique d’inoculation d’une forme réputée peu virulente de la maladie chez un malade vers une personne à immuniser à l’aide du contenu des vésicules. Le pus est déposé dans des plaies incisées. Cependant, le résultat est très aléatoire et les échecs sont nombreux. La technique est d’ailleurs aussi dangereuse pour la personne qui pratique l’inoculation. Bien que cette technique fasse régulièrement l’objet de publications et de tentatives d’améliorations, celle-ci va progressivement être éclipsée par une formidable découverte à la fin du XVIIIème siècle.
Edward Jenner est un médecin de campagne anglais né en 1749 et ayant étudié la médecine à Londres après avoir été apprenti chez un chirurgien dès l’âge de 14 ans. Celui-ci est confronté aux graves épidémies de variole particulièrement mortelles et laissant de terribles cicatrices aux patients qui en réchappent. L’inoculation ou variolisation déjà connue n’est pas satisfaisante. En effet, le risque d’attraper la variole issue des inoculés très contagieux est beaucoup trop élevé. Jenner remarque par hasard parmi ses patients que certains d’entre eux présentent des formes peu sévères de la maladie. Or ceux-ci sont tous vachers et présentent les fameuses pustules sur les mains et les avant-bras. Il s’avère que les vaches et les équidés développent une maladie ressemblant fortement à la variole, avec le même type d’éruption et nommée vaccine. Le médecin anglais émet alors l’hypothèse que puisque ces personnes effectuent la traite des vaches, celles-ci ont été contaminées par les mains par cette forme bégnine de la maladie. Jenner propose alors d’inoculer la forme bovine afin d’immuniser les patients contre la variole comme le sont les vachers. Ainsi, le 14 mai 1796, celui-ci récupère le pus des mains d’une trayeuse, Sarah Nelmes, et l’inocule par scarification sur les bras d’un un jeune garçon de 8 ans, James Phipps. L’enfant présente une courte fièvre mais ne développe pas de pustules, ni la maladie. Plus encore, Jenner reproduit le procédé initial de variolisation sur le jeune Phipps et constate, là encore, que le patient ne développe pas la variole. Le médecin reproduira ses expériences sur d’autres patients et aboutira à la conclusion que ce procédé, désormais nommé vaccination, immunise efficacement contre la variole et sans présenter de danger pour l’entourage. Le procédé mis en place par Jenner sera d’abord vivement critiqué par l’Église mais également par de nombreux scientifiques qui dénigreront l’approche expérimentale du médecin de campagne. La Royal Society finira cependant par être convaincue par les résultats de la vaccine et les publications produites. Jenner recevra alors un important soutien financier et matériel. Une campagne de vaccination plus large sera mise en place afin de combattre la maladie. Celle-ci permettra de diviser par dix la mortalité de la variole en près de 40 ans. La généralisation du procédé de la vaccination interviendra avec Pasteur 80 ans plus tard. Finalement, il faudra attendre les années 1980 avant d’éradiquer définitivement la variole.
- L’ARN interférence
Plus proche de nous, il est un procédé qui a révolutionné la recherche en biologie de ces dernières décennies, dont la découverte doit tout autant au hasard que les précédentes ci-dessus. Il s’agit de l’ARN interférence.
L’ARN messager est connu depuis les années 60 après que les biologistes Jacob et Monod en aient démontré le concept. Cette molécule, synthétisée dans le noyau des cellules, consiste en une copie transitoire d’une portion d’ADN correspondant à un ou plusieurs gènes. Les ARN messagers servent ensuite d’intermédiaire dans la cellule afin de produire les protéines codées par ces gènes. Cet ensemble de processus biochimiques permettant de passer d’une information stockée dans un gène dans l’ADN à la fabrication de protéines jouant un rôle dans la cellule, est appelé expression des gènes. Cette découverte a permis aux français François Jacob et Jacques Monod d’obtenir le prix Nobel en 1965. Depuis, les travaux visant à mieux comprendre comment réguler l’expression des gènes, c’est-à-dire comprendre l’activité des gènes, n’ont fait que se multiplier. Ceux-ci permettent de comprendre comment augmenter ou diminuer la quantité de protéines codées par ces gènes, en jouant sur les séquences d’ADN environnants, sur la présence ou l’absence de molécules interagissant avec les séquences d’ADN, sur la quantité d’ARN messagers, etc.
Ainsi, en 1990, le biologiste végétal Richard Jorgensen et son équipe de l’Université d’Arizona, ont travaillé sur le pétunia et le contrôle de sa couleur, qu’ils souhaitaient intensifier. Ceux-ci ont décidé d’augmenter l’activité du gène de la chalcone synthase intervenant dans la chaine de production du pigment rouge, afin d’accroitre la quantité de ce dernier. Pour cela, les chercheurs introduisent dans les pétunias une version du gène capable de produire une quantité plus importante d’ARN messagers correspondant. Cependant, le résultat les surprendra puisqu’au lieu d’obtenir des pétunias de couleur rouge, les fleurs ont des pétales blancs ou partiellement blancs. Contre toute attente, il semble alors que la surexpression du gène a eu l’effet inverse de celui attendu et inhiberait plutôt la production de la protéine.
L’équipe de chercheurs a alors mené une série d’expérimentations visant à expliquer ce surprenant résultat, rassemblées dans un article publié en 1990 dans The Plant Cell[6]. Ces analyses ont montré que la portion de l’ADN portant le gène n’était pas modifiée, ni même la production d’ARN mais que la quantité d’ARN messagers produits était fortement diminuée. De plus, ce phénomène était transitoire puisque la couleur rouge revenait par la suite ainsi que le niveau d’ARN messager lorsque le gène n’était plus surexprimé. Bien que le mécanisme biologique soit encore inconnu, l’équipe de Jorgensen venait de mettre en évidence, complètement par hasard un mécanisme de régulation de l’expression des gènes via l’ARN totalement inédit. Ces travaux seront enrichis les années suivantes par la description du mécanisme responsable par les biologistes Wassanegger en 1994 chez la plante Arabidopsis[7], et Fire et Mello en 1998 chez le nématode C. Elegans[8]. Ces derniers montreront ainsi que l’introduction d’ARN dans la cellule permet d’éteindre spécifiquement l’expression du gène correspondant de manière transitoire sans toucher à la séquence d’ADN. Fire et Mello recevront en 2006 le prix Nobel de Médecine afin de récompenser leurs découvertes. L’ARN interférence est depuis devenu une méthode efficace de régulation de l’expression des gènes dans les laboratoires de recherche et a permis d’identifier et comprendre la fonction de nombreux gènes, dans une grande variété d’organismes.
- Le Viagra
La découverte du viagra est un des cas de sérendipité les plus emblématiques et concerne cette fois-ci la recherche privée. En effet, rien ne laissait présager que cette molécule aurait les effets qui lui sont associés aujourd’hui et les chercheurs de la société Pfizer n’imaginaient pas développer un médicament pour soigner le trouble de l’érection.
Nous sommes dans les années 1990 et l’entreprise pharmaceutique Pfizer cherche à développer un médicament destiné à traiter l’angine de la poitrine. Cette maladie cardiaque, provoquant de fortes douleurs, est due à un manque d’oxygène dans le cœur à la suite de la diminution du débit sanguin dans une artère coronarienne. Ces vaisseaux sont en effet responsables de l’alimentation du cœur en oxygène et leur rétrécissement est souvent dû à des dépôts gras ou fibreux dus à l’âge, le tabac, l’hypertension, le diabète, l’alimentation, etc.
Les chercheurs se tournent naturellement vers des molécules jouant un rôle vasodilatateur et notamment vers les inhibiteurs de la phosphodiestérase. Ces dernières ont une action sur le cœur, la dilatation des vaisseaux sanguins ou encore la tension artérielle. Au sein des laboratoires britanniques de Pfizer, les chercheurs Peter Ellis et Nick Terret se focalisent sur une de ces molécules, le Sildénafil avec pour objectif de dilater les vaisseaux sanguins et prévenir les angines de poitrine[9]. Les premiers essais cliniques ne montrent cependant pas les résultats attendus. Le médicament n’a pas d’effet sur les douleurs dans la poitrine et provoque des effets secondaires inattendus. Mais certains patients montrent des érections soudaines et durables.
À cette époque, il n’existait aucun traitement efficace contre l’impuissance. Pfizer décide de saisir cette opportunité afin d’en concevoir un. Les recherches sont alors confiées à d’autres chercheurs dont le français Pierre-André Wicker[10]. Le sildénafil, qui deviendra le Viagra, est un inhibiteur de la phosphodiestérase 5 améliorant l’afflux de sang dans les corps caverneux du pénis. C’est lui qui permet de rétablir la fonction érectile. Les essais cliniques dureront 3 ans et montreront que le sildénafil est particulièrement efficace sur plus de 80% des patients. Le Viagra sera lancé en 1998. Son succès commercial sera immédiat et ses ventes mondiales dépasseront le milliard de dollars de chiffre d’affaires très rapidement. Il permettra à Pfizer de devenir numéro 2 du secteur pharmaceutique dans les années 2000.
- Conclusion
L’ensemble de ces découvertes doivent autant au travail des chercheurs qu’au hasard et à leur sagacité. Elles illustrent l’importance de l’intuition dans le processus de recherche et la nécessité de l’exploration sans a priori. Ces découvertes ont toutes en commun l’observation par hasard de faits surprenants et nouveaux et la formulation de nouvelles hypothèses qui ont ensuite été vérifiées, permettant alors de grandes avancées dans les sciences du vivant.
La sérendipité est, en réalité, l’art de saisir des opportunités qui surviennent alors qu’on ne les attendait pas. Ce mode de raisonnement créatif permet ainsi d’explorer de nouvelles théories. Il fut à de nombreuses reprises, et devrait continuer d’être, le moteur de formidables découvertes scientifiques en Biologie comme dans les Sciences en général. Ainsi, les exemples de sérendipité sont tous aussi nombreux dans d’autres disciplines scientifiques ou dans l’industrie, tels que les découvertes de l’aspartame, du four à micro-ondes, du téflon, de l’acier inoxydable ou encore en informatique avec le langage informatique Java dont l’utilisation n’était pas prévue à l’origine pour le web. Enfin, le concept de sérendipité a également été abondamment utilisé dans le cadre des moteurs de recherche ou des big data. En effet, la navigation parmi une très grande quantité d’informations permet de recueillir des informations inattendues pour l’utilisateur.
[1] L’imprévisibilité vient notamment du fait que l’abduction propose une (ou des) hypothèses plausibles sans a priori et sans volonté prédictive de la déduction. Celle-ci permet d’introduire de nouveaux savoirs, de proposer de nouvelles causes qui doivent alors être testées.
[2] Une lentille biconvexe a deux surfaces convexes opposées.
[3] Un protozoaire est un organisme unicellulaire eucaryote, étymologiquement il signifie « premiers animaux ».
[4] Cette théorie ancienne suppose l’apparition spontanée d’être vivants sans nécessiter de parents, à partir de matière inanimée. On pensait ainsi que les rats naissaient des ordures ou les asticots de la viande avariée.
[5] Fleming A. On the Antibacterial Action of Cultures of a Penicillium, with Special Reference to their Use in the Isolation of B. influenzæ. Br J Exp Pathol. 1929;10(3):226-236.
[6] Napoli C, Lemieux C, Jorgensen R. Introduction of a Chimeric Chalcone Synthase Gene into Petunia Results in Reversible Co-Suppression of Homologous Genes in trans. Plant Cell. 1990 Apr;2(4):279-289.
[7] Wassenegger M, Heimes S, Riedel L, Sänger HL. RNA-directed de novo methylation of genomic sequences in plants. Cell. 1994 Feb 11;76(3):567-76.
[8] Fire, A., Xu, S., Montgomery, M. et al. Potent and specific genetic interference by double-stranded RNA in Caenorhabditis elegans. Nature 391, 806–811 (1998).
[9] Terrett, Nicholas K et al. « Sildenafil (VIAGRATM), a potent and selective inhibitor of type 5 cGMP phosphodiesterase with utility for the treatment of male erectile dysfunction. » Bioorganic & Medicinal Chemistry Letters 6 (1996) : 1819-1824.
[10] Goldstein I, Lue TF, Padma-Nathan H, Rosen RC, Steers WD, Wicker PA. « Oral sildenafil in the treatment of erectile dysfunction. Sildenafil Study Group ». N Engl J Med. 1998 May 14;338(20):1397-404.