La Science des matériaux est un domaine de recherche extrêmement actif et qui dévoile régulièrement ses innovations. Récemment, des chercheurs de l’Université de Bath ont développé un nouveau matériau poreux à base de graphène possédant un haut coefficient d’isolation acoustique. Les perspectives industrielles de ce matériau novateur sont multiples. Explications.

1. L’exposition au bruit : un enjeu de santé publique

Bien que la privation sensorielle, c’est-à-dire l’absence totale de son, soit déplaisante et nocive, et que l’exposition à des sons structurés et organisés comme la parole ou la musique soit nécessaire au développement cérébrale et de l’audition, l’excès de bruit est devenu aujourd’hui une source de préoccupation majeure de santé publique. Ainsi, pour plus de la moitié de la population française, le bruit des transports (trains, avions, circulation…) est une des principale source de nuisance quotidienne[1]. Et pour cause, l’excès de bruit (en volume et/ou en durée) est connu pour provoquer des troubles de l’audition, bien sûr, mais également des troubles du sommeil, associés à une augmentation du risque de troubles cardiovasculaires, ainsi que des troubles du comportement combinés à des états d’anxiété et de dépression grave[2].

Afin d’évaluer l’exposition au bruit dans différents environnements et différentes conditions, des campagnes de mesures entreprises en France ont, par exemple, montré que le bruit des avions de transport lourds descendant vers un aéroport peut être perçu jusqu’à 95 km du point d’atterrissage, et est mesurable jusqu’à au plus 75 km[3].

Face à cette réalité, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a sonné l’alerte dans un rapport d’analyse paru en octobre 2018, en faisant du bruit « un risque environnemental majeur pour la santé physique et mentale » en Europe[4].

De fait, la gestion des bruits et nuisances associées ainsi que l’intégration dans leur environnement est un des enjeux majeurs des grandes infrastructures et aménagements d’aujourd’hui et de demain, tels que les aéroports, les autoroutes, les lignes de trains, les chantiers d’envergure etc., ainsi qu’un terrain d’expérimentation et d’innovation au sein des laboratoires de recherche à travers le monde afin d’aboutir à la conception de matériaux novateurs présentant des propriétés d’absorption acoustique inégalées jusqu’à présent.

2. De nouveau matériaux à l’étude

Le développement de matériaux acoustiques innovants suscite un grand intérêt depuis quelques décennies. En particulier, les absorbants poreux ont particulièrement été étudiés et adoptés dans le cadre de multiples applications d’ingénierie. De fait, les absorbants poreux tels que les mousses alvéolaires et les matériaux fibreux ont démontré de bonnes qualités d’absorption acoustique sur une gamme de moyenne fréquence (800 – 2000Hz) mais présentent cependant l’inconvénient d’être généralement lourds et volumineux pour absorber efficacement les basses fréquences, ce qui limite ainsi leurs applications potentielles.

Dans le cadre d’une étude récente, des chercheurs du Materials and Structures Center (MAST), de l’Université de Bath, ont fait une percée dans la mise au point d’un nouveau matériau ultraléger possédant d’excellentes qualités d’absorption acoustique[5].

Pour ce faire, ils ont tenté d’assembler plusieurs matériaux entre eux et notamment, l’oxyde de graphène (Graphen Oxide ou GO) et l’alcool polyvinylique (PolyVinyl Alcohol ou PVA).

L’oxyde de graphène (GO) est constitué d’un réseau de carbones hexagonal, constituant un maillage en nids d’abeilles, ce qui lui confère naturellement des propriétés mécaniques et thermiques remarquables. En effet, les principaux avantages du GO sont sa capacité à former des suspensions stables dans l’eau et à être modelé dans divers assemblages à faible coûts tels que les aérogels (cf. Mise au point de l’aérogel GO/PVA p.3). Le GO a ainsi déjà été évalué pour des applications telles que le traitement de l’eau[6], le blindage EMI[7], le renforcement de matériaux composites[8], le stockage d’énergie[9] ou encore l’isolation thermique ignifuge[10]. Par ailleurs, de récentes études sur le GO ont démontré ses excellentes propriétés d’absorption acoustique[11].

Le PVA, quant à lui, présente de nombreuses caractéristiques intéressantes telles qu’une résistance chimique élevée, de bonnes propriétés optiques et physiques[12], une faible toxicité[13] ainsi qu’une très bonne biodégradabilité[14]. De plus, sa solubilité dans l’eau et sa capacité de réticulation[15] en font un candidat idéal pour former des solutions homogènes avec l’oxyde de graphène (GO).

3. Mise au point de l’aérogel GO/PVA

Un aérogel se définit comme un matériau semblable à un gel où le composant liquide est remplacé par du gaz (il s’agit donc d’un solide à très faible densité). Les premiers aérogels ont été mis au point dans les années 1930 et étaient principalement des aérogels de silice, d’alumine ou d’oxyde de chrome. Par la suite, les premiers aérogels de carbone ont été développés dans les années 1990, tandis que les premiers aérogels à base de polymère ont été mis au point au début des années 2010.

La fabrication de l’aérogel mis au point par les chercheurs de l’université de Bath peut être se résumer en 4 étapes (Figure 1 : a, b, c, d).

Dans un premier temps l’oxyde de graphène est mis en présence de l’alcool polyvinylique (PVA) dans de l’eau. Cette première étape permet la création de liaisons hydrogènes entre les 2 composants (Figure 1.a). La solution est alors placée dans un mélangeur à haut cisaillement. Le mélange à haut cisaillement permet d’obtenir un composé mousseux (hydrogel), contenant des bulles d’air (Figure 1b). L’obtention de l’hydrogel est notamment rendu possible grâce aux propriétés du PVA qui présente de faibles tensions interfaciales combinées aux propriétés de viscosité et d’élasticité du GO, ce qui permet de stabiliser le mélange sous forme d’hydrogel.

Dans un second temps, l’hydrogel est placé dans une structure en nids d’abeilles et subit une étape dite d’alignement par congélation, au cours de laquelle la structure est congelée unilatéralement du bas vers le haut. Ceci permet la formation de cristaux de glace qui vont croître verticalement petit à petit et « pousser » l’ensemble des bulles d’air prises au sein de l’hydrogel vers l’extérieur. Les cristaux de glaces sont ensuite éliminés par sublimation afin de former un aérogel à porosité hiérarchique[16].

Figure 1 : Représentation schématique de la préparation de l’aérogel GO/PVA. Les propriétés intrinsèques du PVA et du GO permettent d’obtenir un hydrogel constitué de molécules de GO et de PVA reliées entre elles par des liaisons hydrogènes (a). Le passage dans un mélangeur à haut cisaillement permet l’incorporation de bulles d’air au sein de la solution (b). Une étape d’alignement par congélation combinée à une étape de sublimation permet de former un aérogel à porosité hiérarchique (c, d).

4.      Propriétés acoustiques

Les chercheurs ont ensuite testé les propriétés acoustiques de cet aérogel qu’ils ont mis au point en faisant varier notamment le ratio de composition GO/PVA.

Grâce à ces phases de tests, les chercheurs ont ainsi réussi à obtenir un aérogel alliant une finesse de structure et un poids léger combinées à d’excellentes propriétés acoustiques. Le résultat est une masse volumique de 2.10 kg.m-3, ce qui en fait l’isolant acoustique le plus léger jamais fabriqué ; combinée à des propriétés acoustiques inédites, notamment un coefficient d’absorption permettant une perte de transmission acoustique de près de 16 décibels.

De fait, ce nouveau matériau intéresse particulièrement différents secteurs industriels, tels que l’aérospatiale, l’automobile, le transport maritime, ou encore la construction, en recherche de matériaux possédant d’excellentes qualités d’absorption acoustiques, combinées à une excellente rigidité, une forte résistance mécanique ainsi qu’un encombrement minimum.

Par exemple, dans le domaine du transport aérien où chaque gramme supplémentaire entraîne des coûts financiers importants et des problèmes de construction, il est prévu que ce nouveau matériau puisse être utilisé comme isolant dans les nacelles des moteurs d’avions afin d’en réduire le bruit perçu en cabine (jusqu’à environ 16 décibels, soit plus proche de l’équivalent d’un chuchotement estimé à 20 décibels[17]).

Le développement de cet aérogel avance rapidement. Il pourrait être commercialisable dans moins de deux ans. Cependant, des incertitudes demeurent quant au changement d’échelle nécessaire entre la mise au point en laboratoire et la production industrielle.

Pour autant des résultats encourageants ont été obtenus dans le cadre de la production industrielle d’aérogel à base de silice au sein d’usines pilotes[18] et ont permis de concevoir de nouvelles méthodes et de nouveaux processus de production de particules d’aérogel à grande échelle.

[1] Enquête TNS – SOFRES de mai 2010 « les Français et les nuisances sonores »

[2] Les troubles associés à l’exposition au bruit

[3] Monitoring du bruit des avions : une détection à partir du signal audio

[4] OMS : Lignes directrices relatives au bruit dans l’environnement dans la Région européenne – Résumé d’orientation (2018)

[5] https://www.nature.com/articles/s41598-021-90101-0

[6] Graphène et traitement de l’eau

[7] Graphène et blindage EMI

[8] Graphène et renforcement de matériaux composite

[9] Graphène et stockage de l’énergie

[10] Graphène et isolation thermique

[11] Graphène et absorption acoustique

[12] Graphène et propriétés optique

[13] Graphène et toxicité

[14] PVA et biodégradabilité

[15] La capacité de réticulation d’un matériau correspond à sa capacité à former un ou plusieurs réseaux tridimensionnels en combinaison avec d’autres matériaux.

[16] Les matériaux poreux hiérarchiques sont définis comme des matériaux poreux possédant une large distribution de tailles de pores inter-connectés, s’étalant sur plusieurs ordres de grandeurs.

[17] Mesure du bruit

[18] Aérogel et production industrielle