Un médicament contre la polyarthrite offre un potentiel de retardement du vieillissement du sang.
Peut-on retarder les effets du vieillissement ? Voilà une question fascinante qui soulève de nombreux projets de recherche à travers le monde.
Oui, il existe à l’heure actuelle, plusieurs leviers qui permettent de retarder l’horloge biologique, tels que la régénération des protéines du sang, l’élimination des cellules sénescentes, ou encore la reprogrammation de l’expression des gènes (épigénétique).
Par le passé, des études ont ainsi révélé que la transfusion de sang jeune chez des souris âgées ralentissait la sénescence cellulaire, améliorait les capacités cognitives et retardait l’apparition de maladies liées au vieillissement[1]. Cependant, les avantages de ce type de transfusion ne sont que temporaires.
Afin de prolonger ces effets bénéfiques sur le long terme, des chercheurs de l’Université de Columbia, à New York ont récemment proposé une approche novatrice en suggérant l’utilisation d’un médicament actuellement utilisé dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, qui pourrait avoir la capacité de rajeunir le système de production sanguine[2] (système hématopoïétique). Agissant directement sur les cellules souches sanguines en bloquant l’action d’une cytokine pro-inflammatoire (protéines), le médicament permettrait la production de sang jeune, sans besoin de passer par la transfusion. Bien que les recherches en soient encore à un stade préliminaire, les chercheurs espèrent pouvoir rapidement passer au stade des essais cliniques, compte-tenu du fait que ce médicament est déjà disponible sur le marché.
[1] Young blood reverses age-related impairments in cognitive function and synaptic plasticity in mice
[2] Stromal niche inflammation mediated by IL-1 signalling is a targetable driver of haematopoietic ageing
1 – Les cellules hématopoïétiques
Chez les mammifères, les cellules sanguines (ou hématocytes) sont réparties en trois catégories : les érythrocytes (globules rouges), les thrombocytes (plaquettes sanguines) et les leucocytes (globules blancs).
Ces cellules sont produites à partir d’un petit nombre de cellules souches résidant dans la moelle osseuse (la niche). Avec l’âge, ces cellules souches dites hématopoïétiques produisent moins de globules rouges, moins de cellules immunitaires et ont du mal à maintenir leur intégrité génétique, ce qui augmente notamment le risque de cancer du sang.
De précédentes études ont montré qu’en injectant du sang de jeunes souris dans des souris plus âgées, ces dernières se dotaient temporairement des mêmes capacités physiologiques que les jeunes souris1. De plus, l’effet inverse peut également se produire lorsque du sang de souris âgées est transféré chez de jeunes souris[3]. Bien que les effets observés soient temporaires, ces travaux suggéraient alors que le vieillissement serait un état relativement malléable.
Dans un article publié en 2021, une équipe de recherche de l’université de Columbia a d’abord essayé de rajeunir les anciennes cellules souches hématopoïétiques, chez les souris, grâce à l’exercice physique ou à un régime restrictif en calories, tous deux généralement considérés comme ralentissant le processus de vieillissement. Pour autant, aucune des deux méthodes n’a fonctionné. Par ailleurs, toujours chez la souris, des essais d’implantation de jeunes cellules souches ainsi que des transfusions de sang jeune ont également échoué à rajeunir les cellules souches sanguines âgées. Les chercheurs ont donc émis l’hypothèse selon laquelle, il serait préférable de rajeunir en premier lieu le système de production associé pour bénéficier des avantages du sang jeune à long terme
[3] Systemic induction of senescence in young mice after single heterochronic blood exchange
2 – Cytokines pro-inflammatoires
Dans un contexte de sénescence, le milieu hématopoïétique à l’intérieur de la moelle osseuse se détériore à mesure que l’individu vieillit.
Chez l’homme, aux environ de cinquante ans, les tissus osseux se dégradent progressivement et cet environnement très spécifique se charge de molécules inflammatoires (les interleukines), qui entrainent, en conséquence, un dysfonctionnement des cellules souches sanguines. Les interleukines sont un groupe de protéines signales (cytokines) permettant aux cellules d’agir à distance sur d’autres cellules pour en réguler l’activité et la fonction. Les cytokines sont synthétisées principalement en réponse à un signal activateur et agissent sur des cellules cibles en se fixant sur des récepteurs spécifiques de haute affinité. La liaison d’une cytokine à son récepteur induit un ensemble de signaux d’activation, de prolifération, de différenciation ou de mort cellulaire.
L’interaction entre les cellules de la moelle osseuse et la production d’interleukines est complexe et joue un rôle crucial dans la régulation de l’hématopoïèse, de l’inflammation et de l’immunité. De fait, les interleukines produites dans la moelle osseuse peuvent avoir des effets à la fois locaux, agissant sur les cellules hématopoïétiques et les cellules de la niche, ainsi que des effets systémiques sur d’autres tissus et organes.
Des observations ont permis de constater que l’interleukine-1β (IL-1β) produite au niveau des os longs (endosteum) vieillissants joue un rôle dans la création d’un environnement inflammatoire au sein de la niche de la moelle osseuse chez les individus âgés[4]. Cette inflammation de la niche contribue à la dysfonction des cellules souches hématopoïétiques et à la perturbation de la régénération hématopoïétique au sein même de la moelle osseuse.
[4] https://www.nature.com/articles/ncb3346
3 – Modulation de l’activité de l’IL-1β par l’Anakinra
Au cours de leurs recherches, l’équipe de Columbia a notamment observé que cette production de l’IL-1β pouvait être inhibée par les médicaments de type Anakinra. L’Anakinra est un médicament immunosuppresseur antagoniste des récepteurs de l’interleukine de type 1 et agit en se liant aux récepteurs de l’IL-1 et en bloquant leur activation par l’IL-1β. Cela empêche l’IL-1β de se lier à ses récepteurs et de déclencher les réponses inflammatoires et immunitaires associées.
Figure 1 : L’Anakinra neutralise l’activité biologique de l’interleukine-1alpha (IL-1alpha) et de l’interleukine-1ß (IL-1ß) par inhibition compétitive de la liaison de l’IL-1 à son récepteur de type I (IL-1RI). L’IL-1 est présente dans le plasma et le liquide synovial des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, et une corrélation a été rapportée entre les concentrations plasmatiques d’IL-1 et l’activité de la maladie (Source).
En bloquant l’action de l’IL-1β, l’Anakinra réduit l’inflammation et atténue les symptômes associés à des maladies inflammatoires telles que la polyarthrite rhumatoïde. Dans le contexte spécifique de la production d’IL-1β dans la moelle osseuse, l’Anakinra peut être utilisé pour inhiber la production excessive d’IL-1β résultant d’une inflammation de la niche de la moelle osseuse chez les personnes âgées. En bloquant la signalisation de l’IL-1β, il est possible d’atténuer l’inflammation de la niche, d’améliorer, en conséquence, la fonction des cellules souches hématopoïétiques et de favoriser la régénération hématopoïétique.
De fait, au cours de cette étude, l’administration de ce médicament chez des souris a eu des effets significatifs sur le rajeunissement des cellules souches sanguines, qui plus est lorsque le médicament était administré sur toute la durée de vie des animaux (et non uniquement lorsqu’ils avaient déjà atteint un âge avancé). De fait, le blocage de la production d’IL1-B par l’effet du médicament a permis de ramener les cellules souches sanguines à un état juvénile et en meilleure santé.
Dans une seconde phase de l’étude, l’équipe de recherche ambitionne de tester ces effets sur l’homme au cours d’essais cliniques. Les chercheurs souhaitent également tester si l’effet de rajeunissement peut s’étendre et s’observer à l’ensemble de l’organisme, par l’intermédiaire du système circulatoire. Toutefois, une incertitude demeure concernant les effets secondaires de la prise d’anti-inflammatoires sur l’organisme. En effet, il est notamment connu que la prise d’anti-inflammatoires sur le long terme provoque des effets secondaires néfastes sur des organes comme le foie par exemple (insuffisance hépatique), ou bien favorise l’hypertension ou encore la neutropénie (diminution importante du nombre de neutrophiles (globules blancs)).