Le paludisme (également appelé malaria) est une maladie infectieuse qui a été responsable de 627 000 décès en 2020 à travers le monde[1], dont la grande majorité des cas sont des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes. Malgré des efforts considérables en recherche et l’existence de traitements antipaludéen[2], il n’existe pas à l’heure actuelle de vaccin efficace contre cette maladie.
Récemment, des chercheurs ont mis au point un vaccin expérimental induisant des modifications génétiques du parasite responsable de la maladie, limitant de fait sa capacité d’infection. Ainsi, lors de la piqûre par des moustiques détenant l’agent infectieux atténué, le paludisme est transmis à l’homme, comme précédemment, mais sans le rendre malade.
Le paludisme est transmis à l’homme par une piqûre de moustique femelle du genre anophèle[3] infectée par le parasite du genre Plasmodium[4]. La piqure introduit les parasites présents dans la salive des moustiques au sein du système circulatoire d’un individu.
Le cycle parasitaire du Plasmodium est particulièrement complexe, ce qui rend la lutte contre cette maladie difficile et peut expliquer qu’aucun remède réellement efficace n’ait été trouvé à ce jour. Ce cycle parasitaire peut se résumer ainsi :
- Une phase hépatique asymptomatique qui dure entre 7 et 15 jours, pendant laquelle le parasite infecte le foie et se multiplie au sein de l’organe ;
- Une phase dite de « transfert » durant laquelle des vésicules contenant le parasite sortent du foie et rejoignent la circulation sanguine à travers les sinusoïdes hépatiques ;
- Une phase sanguine au cours de laquelle les plasmodiums envahissent les hématocytes (globules rouges) et s’y développent avant de les faire éclater. Les premiers symptômes apparaissent généralement 10 à 15 jours après l’infection. Ils se caractérisent par une forte fièvre, des maux de tête et des frissons.
En l’absence d’un traitement, pour ses formes les plus sévères, le paludisme peut évoluer vers une affection grave, voire mortelle dans les 24 heures suivant l’apparition des premiers symptômes.
Il existe plusieurs outils et stratégies de prévention contre la maladie tels que la lutte anti-vectorielle, la chimio-prévention et la vaccination.
La lutte anti-vectorielle se caractérise par l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide et la pulvérisation intra-domiciliaire à effet rémanent. Pour autant, cette stratégie dans la lutte contre le paludisme semble avoir des imites dans la mesure où plusieurs études tendent à montrer l’émergence d’une résistance de l’anophèle aux insecticides[5],[6].
La chimio-prévention se traduit par l’utilisation de médicaments antipaludéens ou d’associations médicamenteuses visant à prévenir l’infection et ses conséquences. Cependant, il existe une grande variabilité de réponses chez les patients contaminés, liée entre autres à la souche plasmodiale concernée, aux différences de métabolisation des médicaments chez les individus, ou encore à l’état de santé du patient au moment du traitement (âge, troubles cardiovasculaires, grossesse/allaitement…). De plus, la résistance aux antipaludiques est venue menacer les efforts mondiaux de lutte contre la maladie au cours de cette dernière décennie[7]. En effet, des recherches ont montré qu’il existe bel et bien une résistance du parasite aux médicaments antipaludiques. Celle-ci se développe chez certains parasites à la suite de l’apparition de mutations spontanées au sein de leur génome. Sous la pression médicamenteuse, ces mutations peuvent conférer au parasite une capacité de résistance ou de susceptibilité. Les parasites dits « susceptibles » seront éliminés par la pression de sélection, tandis que ceux dits « résistants » survivront et pourront se propager.
En ce qui concerne la stratégie vaccinale, le fait que le vaccin doive cibler un parasite et non pas un virus, comme habituellement, rend le développement d’un vaccin efficace particulièrement compliqué. Le parasite en question est un organisme complexe, avec plus de 5 000 gènes à prendre en compte, contre quelques dizaines pour un virus. Il est donc nettement plus compliqué de trouver les bonnes cibles (protéiques) permettant de développer un vaccin efficace. Qui plus est, il est nécessaire que la protéine ciblée par le vaccin ne mute pas. Or, les parasites sont connus pour être plus doués que les virus pour échapper à la réponse immunitaire d’un hôte donné.
Récemment, une équipe de chercheurs du Seattle Children’s Research Institute et des National Institutes of Health ont réussi à atténuer les parasites du moustique par édition génétique, permettant au système immunitaire de les combattre plus facilement. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Science Translational Medicine.
L’originalité de l’approche utilisée au cours de ces travaux a consisté à cibler le parasite directement au sein du moustique-hôte et non pas une fois qu’il a infecté l’homme, en modifiant son génome par la suppression de certains gènes cibles. Cette méthode d’édition génétique dénommée CRISPR, peut se résumer comme un ciseau moléculaire permettant aux chercheurs de couper des parties d’ADN codant pour des gènes précis. Ici, les chercheurs ont ciblé et supprimé des fragments de gènes[8] du parasite lui permettent (i) de se répliquer dans le foie et (ii) de pénétrer dans les globules rouges.
Pour autant, étant donné que la création d’un vaccin injectable aurait été trop coûteuse et aurait pris trop de temps à ce stade de la recherche, les scientifiques ont vacciné 26 participants (recrutés pour les besoins de l’étude) en les faisant piquer par des moustiques infectés par des parasites génétiquement modifiés.
Cette phase d’immunisation a été répétée trois à cinq fois avec environ 200 piqûres de moustiques au total par individu. Lorsque 14 des 26 volontaires ont ensuite été exposés à des moustiques infectés par des parasites non modifiés, 50% d’entre eux n’ont pas développé d’infection au stade sanguin. Un sous-ensemble de ces individus a été soumis à une seconde exposition, 6 mois plus tard, et est resté partiellement protégé.
Ce type de vaccin vivant pourrait produire une meilleure protection que ceux basés sur des protéines uniques, tel que le vaccin antipaludique « RTS,S » approuvé par l’OMS en 2021, mais montrant une efficacité modéré de 30 ou 40%. En effet, le vaccin RTS,S cible uniquement le parasite Plasmodium falciparum et dans sa forme initiale, c’est-à-dire entre le site d’infection (la piqûre du moustique) et son arrivée dans le foie. Par ailleurs, RTS,S est un vaccin « sous-unitaire », de sorte que le système immunitaire de l’individu ne répond qu’à un seul antigène. Ces caractéristiques expliquent notamment son taux de protection limité.
En revanche, le vaccin développé au cours de ces recherches (vaccin PfGAP3KO) exprime des milliers d’antigènes car il s’agit d’un parasite vivant génétiquement atténué. La réponse immunitaire enclenchée cible donc beaucoup plus d’antigènes du parasite que le vaccin RTS,S et est donc plus susceptible d’être protectrice en stimulant une plus large réponse immunitaire.
Les premiers essais cliniques montrent que le vaccin PfGAP3KO semble bien toléré par l’organisme et les seuls événements indésirables remarqués ont été une réaction urticaire localisée, liée aux nombreuses piqûres de moustiques.
Dorénavant, les chercheurs tentent de développer une version améliorée du vaccin et injectable par seringue. Ce vaccin devrait avoir de nouvelles caractéristiques afin de stimuler une réponse immunitaire encore plus protectrice ; en particulier, une dose initiale d’agents infectieux atténués plus élevée pourrait conduire à une plus grande protection pendant une plus longue période. Un essai clinique avec une version injectable devrait voir le jour courant 2023.
[1] Rapport OMS 2021
[2] Antipaludéens
[3] L’anophèle est un genre de moustiques dont il existe actuellement plus de 400 espèces identifiés. Près de 70 d’entre elles transmettent le parasite Plasmodium à l’être humain.
[4] Chez les humains, le paludisme est causé par un parasite protozoaire du genre Plasmodium. Il existe quatre espèces de Plasmodium pouvant transmettre la maladie : Plasmodium falciparum, Plasmodium malariae, Plasmodium ovale et Plasmodium vivax.
[5] Relationship between insecticide resistance, mosquito age and malaria prevalence
[7] Tackling emerging antimalarial drug resistance in africa
[8] Les gènes P52, P36 et SAP1.
Article de presse 2023
COURRIER INTERNATIONAL – 20/04/2023 : https://www.courrierinternational.com/article/sciences-une-mega-usine-de-moustiques-modifies-pour-combattre-la-dengue-au-bresil
“Les moustiques sont infectés par une bactérie du genre Wolbachia qui les empêche de transmettre les virus de la dengue, du chikungunya, du Zika et de la fièvre jaune. Lorsqu’ils sont relâchés dans des endroits où les moustiques de l’espèce Aedes aegypti [qui, eux, transmettent ces virus] sont endémiques, les moustiques modifiés se reproduisent avec les moustiques sauvages et transmettent le Wolbachia à leur progéniture, ce qui permet de réduire considérablement la transmission de ces maladies.”