On admet communément que, chaque année en France, 6% à 7% des hospitalisations sont compliquées par une infection nosocomiale (IN) plus ou moins grave, soit environ 750 000 cas sur les 15 millions d’hospitalisations annuelles¹, et que ces infections provoquent le décès de 4 000 patients environ².

Celles-ci se définissent comme des infections contractées dans un établissement de santé tel qu’un hôpital ou une clinique et résultent généralement de l’adaptation et de la résistance de certaines souches bactériennes aux antibiotiques.

La situation est telle que, après étude, le groupe de coordination inter-institutions des Nations unies sur l’antibiorésistance a récemment évalué que sans actions immédiates et coordonnées, ce seront dix millions de personnes qui mourront chaque année de maladies nosocomiales « évitables »³⁴. De fait, ce même groupe estime qu’il faut, dans le monde entier, éliminer de toute urgence l’utilisation des antimicrobiens dans l’agriculture, investir dans de nouvelles technologies pour lutter contre la résistance aux antibiotiques et renforcer la réglementation.

En France, un programme de recherche d’envergure nationale financé à hauteur de 40 millions d’euros et piloté par l’Inserm⁵  a récemment été lancé⁶. L’un des axes de recherche de ce programme consiste notamment à découvrir de nouvelles molécules antibiotiques grâce à l’utilisation combinée des données massives et de l’Intelligence Artificielle (IA).

Bien que la recherche appliquée en santé s’appuyant sur la valeur des données massives combinée à l’emploi de l’Intelligence Artificielle couvre de multiples domaines, peu de projets ont, à l’heure actuelle débouchés sur la découverte de nouvelles molécules.

Pour autant, récemment, des biologistes et des informaticiens du MIT et de l’université Harvard ont annoncé avoir trouvé un nouvel antibiotique en utilisant cette approche. Ces équipes ont développé et mis au point un algorithme qui, en analysant une banque de données de plusieurs milliers de molécules, a découvert un composé aux propriétés antibactériennes inédites⁷. Baptisée « halicine », cette molécule s’est révélée efficace contre plusieurs souches bactériennes résistantes aux antibiotiques.

Cette découverte est porteuse d’espoir dans un contexte dégradé par l’érosion des découvertes de nouvelles molécules antibiotiques. En effet, la plupart des antibiotiques utilisés en médecine proviennent de petites molécules (ou métabolites) produites par des microorganismes retrouvés dans les sols. Bien que profitable jusqu’au milieu du XXe siècle, la découverte de nouvelles molécules s’est érodée depuis le milieu des années 1960.

Les modes d’action des antibiotiques peuvent se résumer en quelques mécanismes : les inhibiteurs de la synthèse de la paroi bactérienne, les inhibiteurs de synthèse des protéines, les inhibiteurs des acides nucléiques ou encore les inhibiteurs de la synthèse de l’acide folique⁸. Ces quelques modes d’actions ciblées ont eu pour conséquence que les bactéries se sont adaptées en développant différentes formes de résistances. En conséquence, le meilleur moyen de contrer cette adaptation est d’identifier de nouvelles classes d’antibiotiques agissant selon des mécanismes bien distincts.

De fait, l’halicine nouvellement découverte, bloque la « respiration cellulaire » bactérienne⁹. Ce mécanisme constitué par une chaîne de réactions remplit plusieurs fonctions, dont celle de produire de l’énergie, ce qui est vital pour la bactérie.

Pour obtenir cette nouvelle classe de molécules, les chercheurs du MIT ont mis au point un algorithme capable d’apprendre à prédire l’efficacité antibactérienne d’une molécule à partir de sa seule structure moléculaire. Ils ont d’abord entraîné leur modèle sur une base de 2 335 molécules, issues d’une banque de données de la FDA, l’agence américaine du médicament. Pour chacune d’elles, ils ont testé lesquelles inhibaient le plus la croissance de la bactérie Escherichia coli¹⁰. Toute molécule dont l’efficacité dépassait 80% était labellisée « efficace » ; les autres, considérées comme « inefficaces ».

Après son entraînement, l’algorithme pouvait ainsi prédire l’efficacité antibactérienne de molécules qu’il n’avait jamais vues. Testé sur 6 111 molécules, le modèle a sélectionné 99 molécules candidates, dont 51 inhibaient la croissance d’Escherichia coli de façon efficace. Les chercheurs ont ensuite porté leur choix sur l’halicine, qui avait déjà fait l’objet de tests cliniques pour ses propriétés antidiabétiques. Elle a été efficace contre Escherichia coli mais aussi contre Clostridium difficile, Mycobacterium tuberculosis et Acinetobacter baumannii qui, selon l’OMS, est l’un des pathogènes contre lesquels il faut lutter en priorité¹¹.

Ces travaux ont ainsi le mérite d’apporter la preuve de concept que l’on peut trouver de nouvelles classes d’antibiotiques grâce à l’Intelligence Artificielle. Pour autant, le succès de ces méthodes dépendra à l’avenir de la nature et de la qualité des données d’entrainement, et pas seulement de leur quantité.

¹ La réalité des infections nosocomiales en France

² Fédération pour la Recherche Médicale : les maladies nosocomiales

³ UK medical chief: ‘We are in an arms race against microbes’ Britain’s outgoing chief medical officer, Sally Davies, says there are still clear gaps in the fight against antimicrobial resistance

Rapport Au Secrétaire Général Des Nations Unies Avril 2019

Inserm – Programme de recherche – antibiorésistance

Programme de recherche dans la lutte contre l’antibiorésistance

A Deep Learning Approach to Antibiotic Discovery

⁸ L’acide folique, ou vitamine B9, est un composé essentiel aux réactions chimiques qui permettent la fabrication de constituants essentiels de la cellule bactérienne comme les acides aminés, les acides nucléiques ou encore les lipides. Plusieurs classes d’antibiotiques ciblent différentes étapes de cette synthèse de l’acide folique, comme les sulfamides ou le triméthoprime.

⁹ Concrètement, elle empêche la survenue d’un gradient de protons de part et d’autre de la membrane cytoplasmique de la bactérie.

¹⁰ Bactérie intestinale des mammifères. Bien que très commune chez l’être humain, certaines souches d’E. coli peuvent être pathogènes, entraînant alors des gastro-entérites, infections urinaires, méningites ou sepsis.

¹¹ L’OMS publie une liste de bactéries contre lesquelles il est urgent d’avoir de nouveaux antibiotiques