Human Brain Project : Dix ans de découvertes et l’avènement d’une nouvelle ère pour la recherche sur le cerveau.

Fin 2023 a pris fin le Human Brain Project (HBP) lancé par l’Union Européenne en 2013, un projet de recherche d’envergure financé à hauteur de 600 M€, s’étalant sur une décennie entière dans le but de percer les mystères de notre cerveau par le biais de modélisations numériques. S’appuyant notamment sur les supercalculateurs, le HBP visait à construire une infrastructure de recherche scientifique collaborative utilisant les technologies de l’information et de la communication pour permettre aux chercheurs de toute l’Europe de faire progresser les connaissances dans les domaines des neurosciences, de l’informatique et de la médecine liée au cerveau.

 

 

Au démarrage du projet, un éventail de défis majeurs a été rencontré, reflétant la complexité et l’ambition de cette initiative scientifique sans précédent.

Tout d’abord, la nature même du projet, visant à simuler l’intégralité du cerveau humain, a présenté des défis techniques et organisationnels considérables. La complexité inhérente à cette entreprise a nécessité une coordination et une collaboration interdisciplinaires sans précédent, ainsi que des avancées significatives dans divers domaines scientifiques et technologiques.

Deuxièmement, des désaccords scientifiques ont émergé peu après le lancement du projet, reflétant des divergences de perspectives sur les priorités de recherche. Plus de 800 neuroscientifiques ont exprimé leurs préoccupations dans une lettre ouverte, remettant en question la direction du projet et suggérant un rééquilibrage entre la simulation informatique et la recherche expérimentale.

Troisièmement, le projet a dû faire face à des défis techniques considérables, nécessitant des avancées majeures en matière de calcul informatique et de stockage et d’analyse des données collectées. Ces défis ont mis en évidence la nécessité de la mise en place d’une infrastructure technologique robuste et d’une expertise interdisciplinaire pour surmonter les obstacles techniques.

Enfin, le projet a soulevé des questions éthiques importantes, notamment en ce qui concerne la vie privée, la sécurité des données et les implications potentielles de la création d’une simulation complète du cerveau humain.

L’ensemble de ces défis a conduit à une réévaluation du projet en 2015, qui a abouti à un changement de direction et à une nouvelle feuille de route. Cette réévaluation a permis de réorienter le projet vers des objectifs plus réalisables à court terme, tout en maintenant son ambition à long terme de comprendre le cerveau humain et de développer des technologies innovantes pour la recherche en neurosciences.

 

 

Le HBP est une initiative scientifique ambitieuse visant à comprendre le fonctionnement du cerveau humain en intégrant des données expérimentales à différentes échelles spatiales et temporelles, et en utilisant des simulations informatiques pour prédire et expliquer les mécanismes sous-jacents aux fonctions cérébrales.

Depuis le démarrage du projet en 2013, un des objectifs visés est d’approfondir notre compréhension du cerveau humain en créant une plateforme intégrative pour la recherche en neurosciences. Cette plateforme devait permettre de rassembler des données provenant de différentes sources d’information et niveaux d’organisation de la donnée biologique, allant des gènes, aux réseaux neuronaux, en passant par l’organisation cellulaire.

L’objectif était de développer des modèles informatiques qui intègrent ces données pour simuler le fonctionnement du cerveau humain, et ainsi pouvoir prédire et expliquer les mécanismes sous-jacents aux fonctions cérébrales. Cette approche intégrative avait pour ambition de permettre de mieux comprendre les processus cognitifs, émotionnels et comportementaux, ainsi que les mécanismes impliqués dans les troubles neurologiques et psychiatriques.

Le HBP visait également à développer des technologies innovantes pour la recherche en neurosciences, telles que de nouvelles méthodes d’acquisition et d’analyse des données, ainsi que la création de nouveaux outils informatiques pour la simulation et la modélisation du cerveau. Le projet HBP avait également pour objectif de développer des technologies de calcul de pointe[1], telles que des supercalculateurs et des infrastructures de stockage de données, pour répondre aux besoins de la recherche en neurosciences.

[1] Pour permettre la simulation du fonctionnement d’un cerveau humain, la puissance calculatoire nécessaire est estimée à un exaflop. Les supercalculateurs ont une puissance de calcul de l’ordre de 1018 flops (un exaflop = un milliard de milliards d’opérations en virgule flottante par seconde). Cette puissance de calcul a été atteint pour la première fois en 2022 par le supercalculateur Frontier.

Ces technologies devaient permettre de surmonter les défis techniques d’alors et ouvrir de nouvelles perspectives pour la recherche en neurosciences.

Enfin, le projet HBP visait à avoir un impact sociétal en contribuant à la compréhension et au traitement des troubles neurologiques et psychiatriques, ainsi qu’en développant des applications pratiques pour les neurotechnologies. In fine, le projet HBP avait pour intention de permettre une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans les troubles neurologiques et psychiatriques, tels que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la dépression et l’autisme.

Cette compréhension approfondie devait contribuer au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques et de nouveaux traitements pour ces troubles. De plus, le projet HBP devrait permettre de développer des applications pratiques pour les neurotechnologies, telles que des interfaces cerveau-machine, des prothèses intelligentes et des systèmes de réalité virtuelle, qui pourraient améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de troubles neurologiques et psychiatriques.

 

 

Depuis son lancement en 2013, le projet HBP a réalisé plusieurs avancées significatives dans plusieurs domaines. En voici quelques exemples.

3.1.  Néocortex numérique

Les chercheurs du HBP ont, par exemple, réussi à reconstituer des circuits neuronaux du néocortex de rongeurs en utilisant des données expérimentales. Les chercheurs ont, notamment, réussi à intégrer un large éventail de données expérimentales[1] pour créer une première ébauche de reconstruction numérique des microcircuits neuronaux néocorticaux. La reconstruction numérique a été validée en comparant ses prédictions à un ensemble distinct de mesures anatomiques et physiologiques qui n’ont pas été utilisées lors de sa création. Cette reconstruction a offert un aperçu précieux de l’organisation et de la structure des réseaux neuronaux, ainsi que des types de neurones et de connexions synaptiques impliqués dans le traitement de l’information. Ainsi, les chercheurs ont découvert que suite à une stimulation électrique des neurones, des schémas d’activités émergent qui peuvent être classés en deux catégories principales : synchrones et asynchrones. Les états synchrones se caractérisent par une activité neuronale coordonnée et simultanée, où les neurones ont tendance à s’activer ensemble. En revanche, les états asynchrones présentent une activité neuronale plus désordonnée et moins corrélée dans le temps.

Les chercheurs ont ainsi découvert qu’il existe une transition nette entre ces deux types d’états d’activité. Cette découverte est importante car elle suggère que les microcircuits neuronaux néocorticaux peuvent générer une grande variété de schémas d’activité complexes, qui pourraient être associés à différentes formes de traitement de l’information. Par exemple, des états synchrones pourraient être impliqués dans la focalisation de l’attention ou la consolidation de la mémoire, tandis que des états asynchrones pourraient sous-tendre des processus cognitifs plus diffus ou la perception de stimuli complexes.

Par ailleurs, les chercheurs ont découverts que la taille du réseau nécessaire pour reproduire les propriétés fonctionnelles clés des microcircuits neuronaux néocorticaux est à peu près équivalente au volume de tissu néocortical utilisé comme base pour la reconstruction. Cela suggère qu’un réseau de cette taille est l’unité fonctionnelle minimale requise pour le traitement de l’information néocorticale. Ainsi, la reconstruction numérique offre un environnement contrôlé pour effectuer des expériences qui ne sont pas encore réalisables in vitro ou in vivo. Cela permet aux chercheurs de tester des hypothèses et d’explorer des scénarios qui seraient autrement impossibles à étudier, élargissant ainsi notre compréhension du fonctionnement des réseaux neuronaux.

3.2.  Atlas 3d haute résolution

Nous pouvons rapporter un autre exemple ici. Une équipe de neuroscientifique a dévoilé en 2020, la toute première carte 3d haute résolution complète du cerveau de la souris. Pour ce faire, les auteurs ont utilisé des techniques d’imagerie avancées et des algorithmes d’apprentissage automatique pour créer cet atlas détaillé et précis.

Cet atlas permet d’aligner et d’intégrer des données provenant de diverses sources et modalités d’imagerie, facilitant ainsi la comparaison et l’analyse des données à travers différentes études et expériences. L’atlas ainsi élaboré couvre l’ensemble du cerveau de la souris, avec une résolution spatiale élevée et une précision anatomique. Il prend également en compte les variations entre les individus et les différences génétiques. Cet atlas constitue une avancée significative pour les neurosciences. En effet, celui-ci fournit un cadre de référence standardisé pour le cerveau des souris, permettant aux chercheurs de comparer et d’intégrer des données provenant de différentes études et expériences. Cela facilite la collaboration entre les scientifiques et accélère la découverte de nouvelles connaissances sur le cerveau. Par ailleurs, cette cartographie 3D offre une résolution spatiale élevée et une précision anatomique, permettant aux chercheurs d’étudier les structures cérébrales à un niveau de détail sans précédent. Cette précision est essentielle pour comprendre la fonction et l’organisation du cerveau.

L’atlas permet également l’intégration de données provenant de diverses modalités d’imagerie et techniques d’analyse, telles que l’imagerie par résonance magnétique (IRM), la microscopie à fluorescence et les données génétiques. Cette intégration facilite l’étude des relations entre la structure, la fonction et la génétique du cerveau. De plus, l’atlas prend en compte les variations entre les individus et les différences génétiques, ce qui est crucial pour comprendre la diversité des cerveaux et les mécanismes sous-jacents aux troubles neurologiques et psychiatriques.

Il est à noter que l’atlas est disponible en ligne gratuitement pour la communauté scientifique, ce qui démocratise l’accès aux données et aux outils d’analyse du cerveau. Cela favorise la recherche ouverte et collaborative, et peut conduire à des avancées plus rapides dans le domaine des neurosciences.

Figure 1 : Les chercheurs ont constitué un cerveau de gabarit moyen à une résolution de voxels de 10 μm, en interpolant des images de tomographie. Ils ont ensuite divisé le cerveau entier directement en 3D, étiquetant chaque voxel avec une structure cérébrale couvrant 43 zones iso corticales et leurs couches, 329 structures sous-corticales de matière grise, 81 tractus fibreux et 8 structures ventriculaires.

3.3.  Plateforme EBRAINS

EBRAINS est une plateforme numérique de recherche sur le cerveau développée dans le cadre du projet HBP.

Elle offre un écosystème de recherche collaboratif, intégrant des données, des modèles, des outils d’analyse et des services informatiques pour soutenir la recherche en neurosciences. EBRAINS permet l’intégration de données provenant de différentes sources et modalités, telles que l’imagerie cérébrale, la génomique, la protéomique et l’électrophysiologie, offrant ainsi une vue complète et détaillée du cerveau humain. La plateforme propose également des outils d’analyse innovants et performants pour la recherche en neurosciences, tels que des algorithmes d’apprentissage automatique, des méthodes de simulation et de modélisation, ainsi que des outils de visualisation et d’exploration des données. EBRAINS a été conçu pour favoriser la collaboration entre les chercheurs en facilitant le partage des données, des modèles et des outils d’analyse.

De par sa conception, EBRAINS permet l’exploration de la réponse cérébrale face à divers stimuli, aidant ainsi les scientifiques à développer des thérapies ciblées pour les troubles neurologiques et à améliorer les performances cognitives. La plateforme joue également un rôle clé dans l’avancement de la robotique, en inspirant la conception de robots dotés de capacités cognitives avancées, similaires à celles des humains, avec le potentiel de transformer dans un premier temps plusieurs secteurs, tels que ceux de la santé, de l’industrie et de l’éducation.

De plus, EBRAINS est au centre d’une proposition stratégique pour une Action de Coordination et de Soutien financée par l’UE, intitulée « Designing a European Brain Health Landscape ». Ce projet, doté d’un budget de coordination entre les différents centres de recherche (hors coûts réels de R&D) de 1,2 million d’euros sur deux ans, cherche à rassembler les différents acteurs du domaine des neurosciences, tels que les chercheurs, les cliniciens, les décideurs politiques et les parties prenantes de l’industrie. En créant un paysage européen de la santé cérébrale, l’initiative vise à faciliter la collaboration et la coordination entre les diverses initiatives et infrastructures de recherche, à promouvoir l’échange de connaissances et de bonnes pratiques, et à soutenir le développement de nouvelles approches thérapeutiques et de technologies innovantes pour améliorer la santé cérébrale et le bien-être des citoyens européens.

[1] Cela inclut des mesures de morphologies neuronales, de densités, de ratios de neurones excitateurs et inhibiteurs, ainsi que des données électrophysiologiques et synaptiques.

 

 

Au cours de la dernière décennie, et malgré des débuts controversées et des défis persistants, le Human Brain Project a réalisé des avancées remarquables dans la compréhension du cerveau humain et le développement d’outils technologiques innovants pour la recherche en neurosciences.

Parmi les réalisations les plus notables, on peut citer la création de modèles détaillés de circuits neuronaux, la simulation de cerveaux virtuels, l’élaboration d’un atlas du cerveau des souris, et l’établissement de la plateforme EBRAINS, qui offre un écosystème numérique intégré pour la recherche sur le cerveau, accessible à l’ensemble de la communauté scientifique.

Le HBP a également contribué de manière significative à l’avancement des technologies de l’information et de la communication, en développant des outils d’analyse des données, des algorithmes d’apprentissage automatique et des infrastructures de calcul haute performance. Ces avancées ont non seulement amélioré notre compréhension du cerveau humain, mais ont aussi ouvert la voie à de nouvelles approches thérapeutiques pour les troubles cérébraux et fourni des bases solides pour le développement de l’intelligence artificielle.

Néanmoins, le projet a fait face à certaines limites et défis. Ainsi, des critiques ont été émises quant à la pertinence et l’atteinte de certains objectifs initiaux, tels que la simulation complète du cerveau humain. De plus, le projet HBP a parfois été perçu comme manquant de transparence et de collaboration avec la communauté scientifique élargie. Des préoccupations éthiques ont également été soulevées concernant les implications potentielles des recherches sur le cerveau humain et les technologies de l’information. Et il est important de noter que malgré la somme des progrès réalisés dans la simulation et la modélisation du cerveau, de nombreux aspects de la complexité du cerveau humain restent encore mal compris et nécessitent d’importantes recherches supplémentaires. Dans le cadre de la connectivité cérébrale par exemple, il reste encore beaucoup à apprendre sur la façon dont les différentes régions du cerveau sont connectées et interagissent entre elles pour générer des fonctions cérébrales complexes. Les mécanismes sous-jacents à la plasticité cérébrale sont encore mal compris. On peut également citer les mécanismes sous-jacents à la transmission synaptique et la signalisation cellulaire.

En somme, depuis son lancement, le Human Brain Project a réalisé des progrès remarquables dans la compréhension du cerveau humain et le développement d’outils technologiques innovants. Cependant, il est essentiel de reconnaître et d’aborder les limites et les défis qu’il reste à surmonter, et de continuer à promouvoir la collaboration et la transparence dans la recherche en neurosciences.

Les prochaines années devraient être déterminantes pour consolider les acquis du HBP et poursuivre l’exploration du cerveau humain, en tirant notamment parti des connaissances et des technologies développées jusqu’à présent.

Maintenant que le programme est terminé, les chercheurs espèrent ainsi, que le projet se poursuivra et sera capable de continuer à collecter ses propres fonds pour devenir une entité juridique de recherche à part entière. Ils leur faut trouver des financements pour cela. Dans cette optique, l’adhésion du CNRS à EBRAINS – France, en mars 2023, lui permettra, par exemple, de devenir un contributeur majeur et vise à soutenir le développement de grands projets en neurosciences pour répondre aux grands enjeux de santé, le tout en partenariat étroit avec la coordination centrale d’EBRAINS et les autres nœuds nationaux européen.

Parallèlement, la Commission européenne a accepté la proposition EBRAINS 2.0 soumise en réponse à l’appel européen INFRASERV, accordant 38 millions d’euros pour le développement ultérieur[1] des services de l’infrastructure de recherche EBRAINS[2]. Ainsi, au cours des trois prochaines années, l’infrastructure continuera à développer des outils et des services pour servir les communautés de recherche en neurosciences, médecine cérébrale et technologies inspirées du cerveau.

[2] Jusqu’en 2026

 

Human Brain Project Website

The Human Brain Project was a European Future and Emerging Technologies (FET) Flagship project that ran from 2013 to 2023. It pioneered a new paradigm in brain research, at the interface of computing and technology.

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