Le 16 mars 2020, le président de la République Emmanuel Macron a assigné 65 millions de Français à résidence. Un peuple entier, comme ses voisins, mis à l’épreuve d’une expérience inédite : se cloîtrer chez soi pour freiner la propagation d’un virus redoutable. Pour autant, un mois plus tard, une équipe de chercheurs britanniques alertait les dirigeants de la planète. Selon eux, les dommages causés par un confinement prolongé sur la santé mentale des citoyens pourraient surpasser ses bénéfices sur leur santé physique¹. À l’heure actuelle, le pays est en train de vivre sa troisième période de confinement en une année.

L’enfermement, l’isolement et la rupture des liens sociaux seraient susceptibles de provoquer ce qu’on appelle outre-Atlantique la « cabinfever ». Derrière cette expression, se cache un état pathologique aux multiples symptômes tels qu’une forte agitation alternée avec des périodes de léthargie, une perturbation du sommeil, une perte d’appétit, une irritabilité certaine, un stress permanent, une sensation de vide. La liste de ces symptômes n’est pas exhaustive et peut fortement varier d’un individu à l’autre.

Pour autant, et bien que cela puisse sembler paradoxale, l’être humain en perpétuel quête d’exploration et de soif d’aventures et d’ailleurs, n’a jamais hésité, au cours de son histoire, à se confiner. Les exemples sont nombreux : marins, gardiens de phare, de refuge, astronautes, spéléologues, plongeurs en eaux profondes,… Ainsi, les plus grands passionnés de l’extérieur ne seraient-ils pas ceux qui passent le plus de temps à l’intérieur ? Ces ardents explorateurs s’enferment dans des lieux exigus et étranges qui feraient passer nos appartements de centre-ville pour des palaces tout confort. Nous faisons ici le récit de quelques expériences de confinement singulières. Claustrophobes s’abstenir.

130 mètres sous terre, hors du temps

Explorer un monde obscur et minéral où seules quelques vies, sous leurs formes les plus primitives, peuvent se développer : des mousses, des bactéries, quelques spécimens de type mollusque, batracien ou insecte. Rien de plus. Et se mettre au défi de rester dans ce monde clos et noir. Tenter une expérience extrême : celle de survivre deux mois, à 130 mètres sous terre, entre quatre murs de roche. Volontaire enterré vivant, c’est l’histoire folle du spéléologue Michel Siffre.

Le 16 juillet 1962, le spéléologue et géologue, lauréat de la Fondation de la Vocation, descendait à cent trente mètres de profondeur dans le gouffre du Scarasson situé à 2 200 mètres d’altitude, où loin de toute lumière solaire et par une température inférieure à zéro, il avait décidé de rester, seul pendant soixante jours. Quel était le projet du scientifique explorateur ? Quelles étaient les raisons qui l’ont poussé à cette séquestration volontaire ?

Le but de l’expérience était de comparer le temps « objectif » de l’horloge et de la montre au temps « biologique » ressenti par l’organisme humain. Le spéléologue souhaitait répondre à ces questions simples (en apparence seulement) : Comment vit-on sans repères jour/nuit ? Comment se comporte le sommeil sans ses repères ? Les journées sont-elles plus courtes ou plus longues ? L’explorateur raconte² : « J’ai inventé un protocole très simple : appeler l’équipe en surface lorsque je me réveille, je mange, je fais mes besoins et je me couche. L’équipe devait noter précisément ces heures et mes messages sans me transmettre d’informations, afin d’en faire l’analyse à la fin de l’expérience ».

Outre les provisions alimentaires nécessaires et un équipement minimal de bivouac (tente, sac de couchage et lampe frontale à gaz essentiellement), le matériel scientifique était, quant à lui, rudimentaire : deux téléphones permettant de communiquer entre le spéléologue et son équipe et un micro d’ambiance installé dans la grotte afin de permettre à l’équipe en surface d’entendre en temps réel ce qui se passe 130 mètres sous leurs pieds. L’équipe en surface avait, quant à elle, à sa disposition une montre et un chronomètre.

Dans les jours précédant la descente, une des cordes qui pendaient dans le premier puits de 40 mètres, tout près du glacier, avait été sectionnée par un éboulement. « À ce moment j’ai failli reculer. Je me suis dit : ne descends pas, tu vas y rester. Et puis on a minimisé les risques avec l’équipe et j’étais déjà pris dans l’action, le fait de s’être engagé. Il n’était pas question de refuser. Et finalement je suis descendu ».

Figure 1 : Coupe du gouffre de Scarasson avec indication des mesures de températures de la surface au glacier.

Source : https://journals.openedition.org/dynenviron/567

Le jour J arrivé, le spéléologue descendait dans le premier puits de 40 mètres de profondeur, le temps que son équipe finisse de descendre le matériel nécessaire à cette expérience inédite.

  • « À cet instant, je suis assis sur un bloc de la moraine en bas du puits de 40 mètres. J’entends le dernier gars spéléo qui monte, j’entends le cliquetis des échelles. Puis il arrive au sommet du puits, je l’entends me dire au revoir et je perçois des sons qui s’affaiblissent de plus en plus…Et je me retrouve seul dans le silence absolu. Et là ça m’a foutu un coup au moral quand même. Je me suis dit « tu ne tiendras pas ». Mais je suis un homme de volonté et je me suis dit « tu es descendu, tu ne peux pas ne pas le faire, tu ne peux pas ne pas réussir ». Et je me suis retrouvé face à la solitude absolue ».

Le campement et l’espace de vie du spéléologue situé sur le glacier stratifié se résumait à un espace de quatre mètres carré environ. Michel Siffre tenait un journal de bord où il consigne ses ressentis jours après jours. On peut ainsi lire :

  • « 22 Juillet – jour 5 : 5 jours déjà que je suis dans la grotte. Je m’habitue. Le noir ne m’angoisse presque plus. En revanche il fait plus humide que je ne le pensais, autour de 98 % d’hygrométrie quand même ».

À l’issue de son expérience, Michel Siffre racontera avoir très peu marché durant son expérience et qu’il se confinait souvent dans sa tente. Une des raison évoquée étant que, mise à part la paroi de glace sur l’un des côté de son campement, l’ensemble de la roche qui l’entourait était d’un noir pur et dur. Et ce noir immédiat avait un impact négatif sur son moral.

L’explorateur évoquera aussi une peur qui ne l’a quasiment jamais quitté tout au long de son expérience.

  • « Dès le début de l’expérience j’étais terrifié par les chutes de blocs qui se produisaient plus haut dans le puit de 40 mètres. Ces éboulements étaient constitués de blocs de rochers et de blocs de glace qui se détachaient des parois du fait des températures estivales. Les sons de ces chutes se répercutaient sur les parois du gouffre dans lequel j’étais ».

Il notera ainsi dans son journal de bord :

  • « 17 août – jour 32 : il y a eu un gros éboulement hier, j’avais la tête entre les mains, les jambes en tailleur, au milieu de mon sarcophage de pierre. Ça résonnait dans ma tête, j’ai cru que ça finirait mal. J’ai du mal depuis à me calmer, je suis terrifié, nerveux, j’ai des tremblements et du mal à me déplacer. Je me sens déboussolé mais il faut que je reprenne des forces pour tenir encore 50 jours. Il faut que l’expérience réussisse à tout prix même si j’en deviens fou ».

Pour autant, la peur n’était pas omniprésente, et Michel Siffre racontera le 1er août dans son journal de bord :

  • « Je ne m’ennuie pas, je suis même plutôt heureux de faire cette expérience hors du temps extérieur sans lumière naturelle, sans alternance rassurante des jours et des nuits, sans bruit, dans un silence entrecoupé d’éboulements de glace et de roches. Je pense maintenant aux hommes de Cousteau : ces plongeurs qui ont expérimenté la vie dans les habitats sous-marins. J’ai lu ça dans le journal il y a quelques mois, ça doit y ressembler un peu ».

Bien qu’il ne pouvait pas s’en rendre compte, le spéléologue avait une perception déformée du temps écoulé. Il écrira ainsi dans son journal de bord le 17 août qu’il doit tenir encore 50 jours alors que l’expérience se terminerait dans 30 jours. Cette déformation de la perception du temps a également été perçu par son équipe. En effet, à des fins de distractions, Michel Siffre avait à sa disposition des livres de géologie, un pickup et quelques 45 tours à sa disposition dont des disques de Luis Mariano qu’il écoutait souvent. Grâce au micro d’ambiance disposé au niveau de son campement, les membres de l’équipe en surface pouvaient écouter en direct ce qui se passait. Et ils se sont rendu compte que, par moment, il arrivait au spéléologue de mettre 10 fois la même musique d’affilée, Michel Siffre ne se rappelant pas avoir écouté à l’instant même ce morceau.

Enfin l’expérience a touché à sa fin.

  • « 20 août – jour 37 : On m’a appelé ce matin, on me dit que l’expérience est finie. Est-il vraiment possible que nous soyons le 14 septembre ? Vais-je retrouver la surface, la lumière ? Je ne suis pas sûr d’être prêt, j’attends qu’on me rappelle, j’ai peur ».

C’est un être exténué qui est extrait du gouffre dans lequel il vient de passer 60 jours dans le noir et la solitude absolue. L’homme revient dans la clarté du jour en pensant être le 20 août, soit un mois plus tôt. Le temps psychique serait-il donc beaucoup plus lent que celui des horloges ?

Figure 2 : Sortie de Michel Siffre en septembre 1962 après plus de 1.500 heures passées dans le gouffre de Scarasson.

Source : https://journals.openedition.org/dynenviron/567

À l’issue de cette expérience hors du temps, l’opinion publique ne s’est que très peu intéressée à l’exploit de Michel Siffre.

Pour autant, le centre d’étude et de recherche de médecine aéronautique (CERMA) étudiera les conséquences sur l’organisme humain de ce séjour prolongé sous terre dans un milieu très humide où la température ne dépasse pas 4 degrés. Les mesures réalisées montreront notamment que le cycle nycthéméral³ de Michel Siffre était passé de 24h à 24h38 minutes. Ces résultats ont participé à démontrer que diverses fonctions humaines (physiologiques, cognitives ou comportementales) sont en effet contrôlées par une horloge dite circadienne⁴. Les résultats issus de cette expérience ont permis de poser les premiers jalons de ce qui deviendra la chronobiologie humaine.

L’expérience de Michel Siffre a pris place de manière fortuite dans un contexte de guerre froide où la France expérimentait des dispositifs d’abris souterrains de sites de lancement de fusées et lançait un programme de construction de sous-marins d’attaque disposant d’une force de frappe nucléaire ; tandis que la compétition spatiale Russo-Américaine battait son plein. Aussi, et bien que peu relayée dans l’opinion publique, l’expérience « hors du temps » a rapidement intéressé l’armée française ainsi que la Nasa : dans le cadre de son programme spatial et de sa conquête lunaire, les américains étudiaient de près le rythme des astronautes en mission, ceux-ci devant, en effet, vivre en dehors du cycle naturel de nos 24 heures habituelles.

L’expérience de Michel Siffre a ainsi permis de prouver que le cosmonaute survivra à l’avenir sur une planète lointaine. En effet, il s’est lui-même placé au cours de son expérience dans des conditions se rapprochant de celles que devront supporter les cosmonautes qui partiront, plus tard, vers des planètes lointaines. Il était donc intéressant de savoir si au terme d’un voyage sans aucun contact humain, l’individu est à même de se ressaisir assez rapidement, de récupérer de façon telle à pouvoir le cas échéant effectuer une mission de reconnaissance et assurer son retour vers la terre. le spéléologue en a fourni la preuve.

Michel Siffre retourna deux fois pour ces expériences « hors du temps » : en 1972, engagé par la Nasa pour un séjour de 250 jours dans la Midnight Cave au Texas, puis en 1999, pour une durée de 64 jours dans L’hérault. Entre temps, il supervisera les expériences d’autres comme celle de Véronique Le Guen restée 111 jours sous terre pour l’étude des cycles circadiens.

¹ Brooks, Samantha K., et al. “The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence.” The lancet 395.10227 (2020): 912-920.

² https://www.lesothers.com/podcast/michel-siffre-speleologue-scarasson-1962-60-jours

³ Le terme nycthéméral fait référence à l’alternance d’un jour et d’une nuit correspondant à un cycle biologique de 24 heures.

L’horloge circadienne est présente chez de nombreux organismes vivants. Chez l’homme, cette horloge est située au cœur du cerveau, au sein de l’hypothalamus. Elle est à l’origine du rythme circadien et sont tempo est propre à chaque espèce. L’horloge circadienne est notamment synchronisée sur l’alternance jour/nuit et confère à l’organisme humain une périodicité de 24 heures (environ).