À l’heure actuelle, personne ne peut nier la nécessité de limiter la production et l’utilisation de matières plastiques à travers le monde. En effet, malgré les efforts de gestion des déchets, le plastique reste parmi les plus grands polluants présents dans notre environnement. Le faible coût de sa production a entrainé une utilisation massive de celui-ci, et la production mondiale de plastique ne cesse de croître par millions de tonnes chaque année depuis.
Malgré les diverses solutions de recyclage disponibles aujourd’hui, la production de nouveaux plastiques continue car les coûts de recyclage et de ramassage des déchets restent bien plus importants que le coût de sa fabrication[1]. En l’espace de vingt ans, cette production a été multipliée par près de 3, passant de 162 millions à 448 millions de tonnes par an[2].
Concomitamment, seule une infime portion des déchets plastiques est alors réutilisée et la très grande majorité finit dans la nature, menaçant dangereusement les écosystèmes naturels. À titre d’exemple, depuis 2015, le monde a généré plus de 6,9 milliards de tonnes de déchets plastiques, dont seulement 9% ont été recyclés. Le plastique est tellement omniprésent dans notre environnement qu’il s’infiltre désormais partout et met la vie de beaucoup d’êtres vivants en danger, dont l’homme. De fait, il est devenu essentiel d’identifier des solutions innovantes et écologiques afin d’être en mesure de se débarrasser des milliards de tonnes de plastiques qui se sont accumulés sur Terre.
1. Le plastique PET
Pour ce faire, la communauté scientifique s’emploie notamment à concevoir et à développer des systèmes de biodégradation du plastique. Récemment, une partie de la recherche dans ce secteur s’est concentrée sur la production d’enzymes issues de microorganismes capables de recycler le plastique ; et certaines études portent sur la dégradation du plastique PET[3] non recyclé. Ce plastique est abondamment utilisé pour les emballages et les films en raison de ses propriétés physiques telles que la résistance mécanique et les barrières aux gaz. Il est également utilisé pour le conditionnement de produits liquides provenant aussi bien de l’agroalimentaire que de l’industrie pharmaceutique. Ce plastique est une source de pollution environnementale importante car son temps de dégradation nécessite environ une centaine d’année. Par ailleurs, et bien que l’industrie du recyclage puisse dépolymériser le PET en clivant ses liaisons chimiques dites « liaisons esters », ces types de processus de recyclage coûtent très chers par rapport à l’achat de PET neuf.
2. Identification de Ideonella sakaiensis, une bactérie dégradant naturellement le plastique
Initialement, la découverte de la bactérie Ideonella sakaiensis avait permis de mettre en évidence sa capacité de croître sur un support de type PET, en l’utilisant comme source de carbone et d’énergie. Les chercheurs avaient alors identifié que cette bactérie possède une enzyme dénommée « PETase[4] », capable de dégrader le PET[5]. Depuis cette découverte et jusqu’à présent, la communauté scientifique s’est évertuée à isoler et utiliser cette enzyme naturelle. Cependant, les solutions développées comportent encore beaucoup de lacunes les empêchant d’être appliquée à grande échelle. Par exemple, l’enzyme PETase bactérienne ne s’active qu’à 70 °C environ, ce qui limite considérablement les environnements où elle pourrait agir. De plus, la dégradation du PET grâce à l’utilisation de Ideonella sakaiensis et des enzymes PETases permet de décomposer uniquement de petits échantillons, moins résistants qu’une vraie bouteille en PET.
3. Intelligence artificielle et biodégradation
Récemment, une nouvelle étude parue dans la revue Nature[6] impliquant l’utilisation d’une intelligence artificielle basée sur l’apprentissage automatique a permis de prédire les mutations nécessaires à cette enzyme pour dégrader différentes sortes de plastiques.
En substance, le modèle d’apprentissage automatique utilisé, au cours de ces recherches, a permis de prévoir les mutations nécessaires à la PETase qui ont abouti à une dépolymérisation optimale des plastiques PET. En pratique, le programme se compose d’un système d’apprentissage automatique basé sur un réseau de neurones artificiels couplé à un algorithme, chargé de modifier in silico les acides aminés constituants l’enzyme. L’utilisation d’un réseau de neurones a ainsi permis d’étudier une gamme de 19 000 enzymes de tailles similaires (constituées au sein des bases de données scientifiques). Ce réseau de neurone était ainsi chargé d’identifier notamment les compositions en acides aminés qui permettent d’assurer la stabilité des enzymes. D’autre part, le programme avait également en charge de tester des substitutions d’acides aminés et d’évaluer la stabilité et l’activité de l’enzyme en comparant notamment l’enzyme nouvellement élaborée in silico aux autres enzymes disponibles au sein des bases de données. De plus, afin de générer l’enzyme ayant à la fois une bonne stabilité et une activité de dépolymérisation la plus efficace possible, les chercheurs ont implémenté, au sein du système d’apprentissage, la prise en compte de paramètres environnementaux inhérents à l’activité de l’enzyme, tels que les températures environnantes, les pH, ainsi que d’autres facteurs physico-chimiques.
Sur les millions de substitutions et de combinaisons testées, l’intelligence artificielle a suggérée trois substitutions d’acides aminés permettant théoriquement d’assurer à la fois une stabilité enzymatique ainsi qu’une activité de dépolymérisation du PET. Les chercheurs ont alors synthétisé l’enzyme suggérée par l’IA. La nouvelle enzyme PETase baptisée « FAST-PETase[7] » (Functional, Active, Stable and Tolerant PETase) a alors montré des performances remarquables, en décomposant, par exemple, un plateau de plastique PET en 48 heures et à des températures plus faibles que les enzymes utilisées jusqu’alors.
4. Conclusion
En conclusion, bien que ce nouveau type d’enzyme PETase ne soit pas encore produite et utilisée à l’échelle industrielle, plusieurs faits intéressants peuvent déjà être mentionnés.
D’une part, au-delà de la biodégradation du plastique, cette enzyme a montré une activité de repolymérisation du plastique ainsi digéré, offrant, peut-être, une solution de recyclage durable, moins coûteux financièrement et énergétiquement que les méthodes de recyclages utilisées jusqu’à présent[8].
D’autre part, le plastique dépolymérisé est la résultante d’une activité enzymatique seule et non d’une activité bactérienne à part entière, ce qui présente l’avantage de pouvoir envisager son utilisation industrielle sans avoir à mettre en place l’ensemble des conditions contraignantes inhérentes à la culture bactérienne.
On peut également conjecturer que, d’ici quelques temps, d’autres enzymes de ce type soient découvertes, qui pourront probablement être modifiées sur mesure afin d’être adaptées à la digestion rapide de divers plastiques, et ce même en dessous de 50 °C et dans un large éventail de pH. Si ces caractéristiques effectivement sont atteintes, cette enzyme devrait pouvoir être utilisée pour assainir les sites les plus pollués, tels que les décharges sauvages par exemple.
Enfin, à l’heure où le recours à l’intelligence artificielle dans une multitude de domaines (transport, santé, industrie, marketing, assurance, défense, éducation, divertissement etc.) génère souvent des peurs, des incompréhensions et des controverses, et bien qu’il n’existe pas encore (et n’existera peut-être jamais) de processus de recyclage parfaits et entièrement vertueux, nous pouvons saluer une telle découverte.
Nous ne devons toutefois pas perdre de vue que ce type d’avancée ne peut avoir de résultat que si, concomitamment, l’humanité se résout à réduire de façon drastique sa consommation de plastique.
[1] Coût du recyclage du plastique
[2] Le plastique en 10 chiffres
[3] Le PET (ou Polytéréphtalate d’EThylène) est un polymère obtenu par la condensation de l’acide téréphtalique et de l’éthylène glycol.
[4] Fait intéressant, la présence de cette enzyme au sein du règne bactérien témoigne de l’évolution rapide des bactéries et de leur adaptation à leur environnement puisque le premier PET date seulement d’il y a 80 ans.
[5] En réalité, l’enzyme PETase convertit le PET en acide mono(2-hydroxyethyl) téréphtalique (MHET), acide téréphtalique (TPA) et en bis(2-hydroxyethyl) téréphtalate (BHET).
[6] https://www.nature.com/articles/s41586-022-04599-z
[7] PETase Fonctionnelle, Active, Stable et Tolérante.
[8] En effet, les méthodes les plus communément utilisées afin de dégrader le plastique sont notamment la combustion, la glycolyse et la pyrolyse, qui sont très énergivores d’une part et très coûteuses d’autre part.