Bio-impression et médecine régénérative : où en est-on ?

26 octobre 2018

Aujourd’hui, nombreuses sont les personnes qui attendent de recevoir un organe pour une greffe. La demande est forte et les chances d’en obtenir sont sommes toutes assez faibles. Ainsi, en France, près de 24 000 patients étaient en attente d’un organe en 2017 et 6 000 personnes seulement ont pu être greffées. La bio-impression pourrait à termes pallier ce problème en étant l’un des développements de l’industrie 3D qui a connu la plus importante croissance de ces dernières années, ainsi que des innovations spectaculaires.

Un marché en forte croissance

Un rapport publié par le cabinet américain SmarTech en 2017 a estimé le marché de la bio-impression à 1,1 milliard de dollars en 2027, contre 100 millions de dollars en 2015[1]. D’après ces prévisions, ce marché devrait connaître un taux de croissance de près de 36% d’ici 2022, surpassant de loin de nombreux marchés liés à l’impression 3D.

Les acteurs clés attendus sont les Etats-Unis et le Canada, puis vient l’Europe avec l’Angleterre et l’Allemagne comme leaders. Cette croissance peut notamment s’expliquer par l’apparition de systèmes plus accessibles et moins couteux (c.à.d. des systèmes d’impression à moins de 20 000 dollars), facilitant ainsi la diffusion de la bio-impression dans l’industrie, mais aussi les universités. Cette croissance s’expliquerait également par l’arrivée de grandes multinationales sur le marché telles que Roche, Astellas Pharma, Bristol-Meyers Squibb, Merck, ou encore Novartis. Ainsi, le nombre grandissant de programmes de recherche menés sur la bio-impression pourrait engendrer la création de plus de 5 000 systèmes de bio-impression dans le monde d’ici 2027.

Qu’est-ce que la bio-impression ?

La bio-impression est une application biomédicale des technologies utilisant les principes de l’impression 3D afin de produire artificiellement des tissus biologiques vivants. On peut résumer le processus (simplifié) de bio-impression en cinq grandes étapes :

  1. L’étude de l’organe ou du tissu que l’on souhaite reproduire ;
  2. La conception informatique permettant une découpe virtuelle de l’organe en différentes couches ;
  3. La programmation de l’imprimante ;
  4. L’impression couche par couche des différents éléments ;
  5. La maturation au cours de laquelle les cellules interagissent entre elles pour produire un tissu opérationnel.

On parle parfois d’impression 4D car les cellules imprimées peuvent subirent une phase de maturation avant de se développer par elles-mêmes, ce qui marque l’influence du facteur temps sur le résultat.

Médecine régénérative

Le domaine de la médecine régénérative a considérablement progressé au cours des dernières décennies dans sa capacité à produire des tissus biologiques vivants. Tous les efforts de recherche à travers le monde ont ainsi permis à plusieurs solutions prototypées de voir le jour et certaines des technologies ont été appliquées dans des thérapies médicales avec certains succès.

Par exemple, dans le cas de structures dites « simples[2] », des chercheurs de l’Université de Columbia ont travaillé sur l’application de l’impression tissulaire dans les réparations dentaires et osseuses. Les chercheurs ont ainsi élaboré un prototype dentaire comprenant des micro-canaux interconnectés et contenant des cellules souches et des substances de croissance. En quelques semaines, la dent implantée chez un patient a créé son propre tissu conjonctif et un nouvel os alvéolaire.

Un autre exemple peut être cité avec la création d’un pavillon d’oreille, par une équipe de recherche au sein de l’Université de Princeton, à partir d’un moule dans lequel les chercheurs ont placé un mélange contenant du collagène et des cellules vivantes, qui a permis le développement de cartilage humain. De plus, grâce à l’implémentation d’une puce électronique, ce prototype peut capter des fréquences et en particulier des fréquences non perçues par l’oreille humaine normale.

Toujours dans le cadre de la bio-impression de structures simples, les technologies en présence ont également permis la fabrication de trachées. Suite à cela, des patients ont ainsi pu recevoir l’implémentation d’une trachée élaborée à partir de leurs propres cellules souches.

D’autres expérimentations ont permis de produire une valve cardiaque à partir d’un échafaudage d’hydrogel avec des cellules interstitielle de valve aortique. Cette valve s’est avérée viable en moins de 10 jours.

Dans le cas de structures dites « complexes[3] », les premiers organes entiers imprimés ressemblent aux vrais par leur forme mais pas encore par leur fonction. Par exemple, des reins humains ont déjà été imprimés par l’entreprise Organovo, mais ceux-ci n’étaient pas fonctionnels. Malgré tout, cet exploit a ouvert la voie à d’autres recherches actuellement en cours avec pour objectifs d’élaborer d’autres organes complexes viables ce qui doit permettre, à termes, d’éviter l’utilisation d’implants artificiels et de pallier le manque de donneurs humains.

Ainsi, même si depuis plus d’une décennie, des cellules vivantes, des tissus et des biomatériaux ont été imprimés grâce à la bio-impression, les approches classiques basées sur la réalisation de matrices extracellulaires et la micro-ingénierie restent cependant limitées dans leur capacité à produire des tissus avec des propriétés biomimétiques précises. Ceci s’explique principalement par les défis biologiques et techniques qu’il reste à résoudre.

Les défis techniques

Comme nous l’avons vu, la bio-impression est une technologie qui se développe extrêmement rapidement mais qui doit faire face à des limites d’ordre technique plus ou moins complexes.

Aujourd’hui, la bio-impression concerne essentiellement la production de tissus organiques simples à imprimer en comparaison de l’impression d’organes tels qu’un rein ou qu’un foie voire qu’un cœur qui possèdent des structures extrêmement complexes. En effet, pour concevoir un organe de grande taille, il est par exemple nécessaire de résoudre le problème d’impression de structures vasculaires complexes, qui doivent assurer les échanges nutritionnels à l’échelle de tous les tissus, de manière à leur assurer une viabilité à long terme.

Parmi les défis techniques à résoudre qui permettraient la bio-impression d’organes pleinement fonctionnels, on peut donc citer :

  • La vascularisation. À l’heure actuelle, les scientifiques n’arrivent pas à recréer les vaisseaux sanguins comme les capillaires car ils sont longs, fins et tubulaires, et la précision des imprimantes est encore trop faible. L’impression d’un organe fonctionnel est donc impossible en l’état car les cellules ne seraient pas alimentées en oxygène et en glucose et mourraient donc très rapidement. Ainsi, les tissus cellulaires de peau imprimés jusqu’à maintenant ne sont pas vascularisés et donc non ne peuvent pas encore être greffés ;
  • La grande complexité du système nerveux. En l’absence de nerfs, les muscles créés ne peuvent pas être actionnés et ne peuvent donc être greffés ;
  • Le temps de survie des cellules imprimées. Pour l’instant, les tissus imprimés ne vivent pas très longtemps car ils ne sont pas dans leur milieu naturel. Par exemple, le rein miniature bio-imprimé par l’entreprise Organovo est resté « en vie » seulement 5 jours (ce qui est déjà un exploit en soi) ;
  • Le prix. Le coût des imprimantes biologiques fonctionnelles haut de gamme reste très onéreux. Elles peuvent donc difficilement être acquises par des petits laboratoires de recherche ou des hôpitaux. En effet, une imprimante biologique coûte plusieurs centaines de milliers d’euros ;
  • L’organisation complexe des organes. Pour reprendre l’exemple du rein, celui-ci est constitué d’un million d’unités (ou néphrons) qui assurent la filtration du sang et la production d’urine. Chaque néphron est constitué de multiples sous-unités comme les glomérules eux-mêmes constitués de quatre types de cellules… Cette organisation est donc très complexe à imprimer couche par couche ;
  • La gravité : Même avec la plus haute technique d’impression biologique connue, les scientifiques sont obligés d’imprimer les tissus couche par couche à cause de la gravité, ce qui complique fortement la formation d’organes volumineux qui s’écrouleraient sous leur propre poids et déformeraient les structures moléculaires ;
  • La connaissance scientifique : C’est sûrement le plus gros frein à l’élaboration et à l’impression d’organes complexes. Le manque de connaissance global sur le corps humain se fait sentir dans plusieurs domaines comme le système nerveux ou la morphogenèse de l’organisme.

Les défis éthiques

De par les immenses espoirs qu’elle suscite, la bio-impression est une technologie qui entraînera de nombreux débats éthiques et soulèvera nombre de questions morales et sociologiques.

À titre d’exemple, la bio-impression repose notamment sur l’usage de cellules souches qui présentent l’avantage de pouvoir se multiplier et se spécialiser. Suivant l’origine de ces cellules (origine embryonnaire) des questions éthiques et sociales se poseront donc nécessairement. Actuellement, l’utilisation de cellules souches embryonnaires à des fins d’ingénierie tissulaire suscite déjà de vifs débats sur la scène internationale et il existe des différences de perceptions marquées entre les différents pays. Ces fortes différences de perceptions pourraient fortement influencer la manière dont la bio-impression pourrait être (ou non) acceptée, ou en tout cas ralentir son développement et ses usages.

Par ailleurs, la bio-impression est une technologie récente et de pointe potentiellement coûteuse. En conséquence, elle ne pourrait être accessible qu’à une faible fraction des populations les plus aisées. De fait, ceci pourrait entraîner une division des populations sur la base de leur revenu et permettre aux personnes les plus riches de vivre plus longtemps et en meilleur santé. La question de l’égalité de l’accès aux soins, et à cette technologie en particulier, parmi les populations, se posera donc inévitablement.

À plus long terme, l’amélioration des capacités et des performances humaines par des organes bio-imprimé ainsi que l’espérance de vie prolongée qui en découlerait pourrait poser de sérieux problèmes bioéthiques en étant confronté à ce que certains scientifiques appellent « l’évolution artificielle » de l’homme.

Si on regarde encore plus loin, on peut se demander si l’avenir de la bio-impression pourrait également résider dans le clonage intégral. À l’heure actuelle, la bio-impression cherche à remplacer os, organes et tissus défaillants, mais il n’est pas inenvisageable que cette technologie (associée à d’autres technologies de pointe) permettent la bio-impression d’un humain de synthèse dans un futur extrêmement lointain.

Cependant, outre la transgression évidente de tout code éthique actuel, un point qui semble faire union chez les chercheurs est que la reproduction organique du cerveau, organe encore incompris, le plus complexe du corps humain, est tout à fait impossible, du moins inimaginable. Oui mais pour combien de temps ?

Perspective

En 2017, malgré des progrès indéniables, les réalisations de la bio-impression sont restées limitées et l’impression d’organe en est encore au stade du prototype. Les équipes de recherche tentent encore d’améliorer et de développer les technologies existantes. Par exemple, dans le secteur de la transplantation, un des objectifs affichés par la plupart des chercheurs reste la greffe chirurgicale.

L’impression d’organes à partir des cellules du receveur permettrait d’éliminer les risques de rejet, et donc de sauver des milliers de vies, de diminuer les coûts des soins médicaux et de répondre à la demande d’organes qui ne cesse d’augmenter.

À ce jour, la création d’une vascularisation complexe nécessaire à l’oxygénation et à l’alimentation des organes reste une barrière. En effet, élaborer une masse solide de chair est « relativement » facile, mais ajouter un moyen de pomper le sang et d’autres nutriments à travers la chair est beaucoup plus difficile. Ainsi, si la bio-impression d’organes à l’usage de greffe s’avère un horizon excitant pour les chercheurs, les problèmes techniques majeurs rencontrés se posent au niveau de la complexité des fonctions de ces organes et du nombre important de vaisseaux sanguins qui les irriguent.

Conclusion

Malgré les obstacles gigantesques, des progrès sont en train d’être réalisés dans la greffe de peau, et les scientifiques sont à l’heure actuelle capables de produire de la peau humaine pleinement fonctionnelle que ce soit à partir de stocks de cellules différentes ou bien de cellules souches de peau d’une même personne.

Les progrès sont lents et la bio-impression est encore loin de pouvoir être utilisée de manière optimale mais il ne fait aucun doute qu’à l’observation des progrès scientifiques et technologiques de notre temps, des réponses seront trouvées.

Par conséquent, il est presque certain que la bio-impression permettra dans un premier temps de tester plus efficacement les médicaments et produits destinés à l’utilisation sur l’homme, puis de développer des solutions thérapeutiques personnalisées d’ici à quelques années.

Dans une dizaine d’années, les chercheurs espèrent être en mesure de fabriquer des tissus fonctionnels pour la médecine régénératrice.

Et dans un trentaine années, ils estiment que cette technologie révolutionnaire devrait être assez mure pour que la production et la greffe d’organes entiers et viables soit possible.

Contacts : Pascal Bally · Vincent Weber

[1] https://www.smartechpublishing.com/reports/bioprinting-markets/.

[2] Les structures cellulaires dites « simples » sont des structures plates constituées d’une ou plusieurs couches de cellules et relativement facile à concevoir (par opposition aux structures complexes) (comme la peau). Il peut également s’agir de structures tubulaires constituées de 2 types cellulaires qui agissent comme un simple conduit (comme les vaisseaux ou l’urètre).

[3] Les structures cellulaires dites « complexes » peuvent être des organes tubulaires creux qui ont des structures et des fonctions complexes (comme la vessie ou l’estomac), ou bien des organes solides qui possèdent un grand nombre de types cellulaires et nécessitent un approvisionnement en sang pour l’irrigation et pour leur fonction ?

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